Après le Japon, les ONG doivent penser leur action humanitaire environnementale

Posté par Jérôme Larché le 11 avril 2011

Le séisme survenu le 11 mars dernier au large du Japon a créé une crise hybride et inhabituelle, mêlant conséquences radioactives des fuites de la centrale nucléaire de Fukushima et conséquences humanitaires de la vague géante du tsunami qui a déferlé sur les baies de Sendai et de Kaimashi. Cette situation complexe expose aujourd’hui des populations démunies, dans un contexte radioactif avéré et croissant, et auprès desquelles il semble que peu d’organisations de secours aient pu accéder. 

Si le caractère humanitaire des conséquences de cette crise est incontestable, le fait qu’elle impacte si durement la troisième puissance économique mondiale a pu jeter le trouble sur la nécessité ou non d’un engagement – financier comme opérationnel – des ONG internationales, et notamment occidentales.

 Seul le CICR possédait l’expertise suffisante pour intervenir au Japon 

Si l’implication des unités de protection civile de divers pays (France, Etats-Unis, Allemagne,etc.) s’est imposée d’emblée, celle des ONG a paradoxalement été précédée d’une période de flottement, voire d’un début de polémique. Cela a ainsi été le cas des campagnes de dons orchestrées par le Secours Populaire, la Fondation de France ou la Croix-Rouge française, pour le seul exemple hexagonal. En terme opérationnel, les choses sont encore plus compliquées puisque toute intervention dans ces zones où règnent des taux de radioactivité nocifs pour la santé, nécessite un équipement et une expertise NRBC[1]. Or, peu d’organisations humanitaires, excepté le Comité International de la Croix Rouge (CICR), possèdent aujourd’hui ces compétences. 

Plus habituées à intervenir sur des terrains de conflits ou de catastrophes naturelles, la gestion des risques et des accidents industriels ne fait pas forcément partie des schémas opérationnels anticipés par les ONG. Et pourtant, plusieurs éléments d’analyse amènent à penser qu’il s’agit possiblement d’un enjeu important, non seulement pour les ONG, mais surtout pour les populations victimes de telles situations. 

Il est d’abord facile de constater que le monde s’urbanise de façon croissante, amenant à la constitution de mégapoles où se côtoient plusieurs millions, voire dizaines de millions, de personnes.

 Les ONG doivent « comprendre les villes » 

Les exemples récents du séisme survenu en Haïti en 2010 ou de l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans en 2005 ont illustré les difficultés d’intervenir en situation de catastrophes urbaines, dont les dégâts humains comme matériels sont intimement liés aux conditions de vie socio-économiques des populations concernées. Ces deux crises ont également souligné l’importance de « comprendre les villes« , c’est-à-dire leurs déterminants urbanistiques, architecturaux, sociaux, et bien sûr leur environnement industriel. 

Un autre élément à considérer est d’ordre économique, lié à la fragilité induite par la crise financière de 2008 et qui continue d’avoir des répercussions aujourd’hui sur l’économie réelle, impactant en premier lieu les budgets publics de la plupart des Etats de la planète. Ainsi, l’exemple japonais a montré qu’être la troisième puissance mondiale économique n’épargnait ni le risque de réactions en chaînes, de la fission nucléaire à la friction politique, ni des conséquences économiques désastreuses pour les années à venir. 

Bien que le gouvernement nippon ne l’ait pas fait, pour des raisons d’ordre politiques comme culturelles, certains maires de villes japonaises ont pourtant appelé à l’aide internationale au vu de l’ampleur du désastre et des difficultés à répondre aux besoins humanitaires des populations.

 Même dans les pays « développés », le niveau de l’aide n’est pas suffisant 

Après le cyclone Katrina, le tsunami japonais et ses conséquences sur la centrale nucléaire de Fukushima montrent que, même dans les pays dits « développés », une inadéquation entre les besoins objectifs des sinistrés et le niveau d’aide fournis aussi bien par l’Etat japonais que par les autres Etats, peut être à nouveau observée. L’industrialisation croissante du monde actuel, et notamment le nombre de centrales nucléaires localisées dans des zones sensibles mais aussi de complexes pétroliers implantés dans des pays parfois en guerre ou en proies aux guérillas (comme le Delta du Nigeria et les rebelles du MEND), doit donc devenir un sujet de préoccupations – humaines comme écologiques – pour les organisations humanitaires. 

Pourtant, il ne semble pas que celles-ci soient correctement outillés, tant dans la réflexion que dans l’action, pour répondre de façon adéquate aux enjeux actuels. Que certaines d’entre elles aient d’ailleurs déjà entrepris de récolter des fonds ou de mettre en place des programmes d’aide psychologique, ne préjuge pas de la réponse que donneront au final les ONG sur cette question, mais valide au moins la pertinence qu’il y a à se la poser. 

Un « hiver nucléaire » menace vraisemblablement une partie non négligeable du Japon et ses conséquences écologiques, sanitaires, économiques et politiques sont encore difficilement évaluables mais risquent d’être durables et majeures. Il serait dommage que les ONG n’entament pas une réflexion de fond sur leurs capacités opérationnelles techniques, sur la teneur d’un plaidoyer pour des mesures visant à prévenir ces catastrophes, mais plus encore sur la légitimité – voire la nécessité – d’exercer leur mandat humanitaire dans des contextes d’accidents industriels majeurs, nucléaires ou non, au plus prés des populations victimes de ces derniers. Il s’agit bien d’une question ouverte sur le concept d’ « action humanitaire environnementale », où l’anticipation et le pragmatisme doivent primer. 



[1] NRBC : Nucléaire Radiologique Biologique Chimique 

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8 avril: Journée internationale des Roms: « Refuser la criminalisation de la précarité dans un contexte économique dégradé »

Posté par Jérôme Larché le 6 avril 2011

Les altercations bruxelloises liées à la désormais fameuse « circulaire du 5 août 2010 », relative à l’évacuation des campements illicites et des expulsions de Roms[1], entre le Président français Nicolas Sarkozy et le Président de la Commission Européenne, José Manuel Barroso, ont peut-être occulté les enjeux soulevés par la présence des ces populations. Depuis le discours présidentiel à l’Elysée du 28 juillet dernier, près de 200 campements ont été évacués et plusieurs milliers d’expulsions « volontaires » ont déjà été effectuées par les autorités françaises, par bus comme par charters. 

Un « nomadisme » historique  

 Dans les 47 Etats du continent européen, du Portugal à la Russie, le nombre de Roms est estimé à environ 11 millions, dont seulement 15000 en France, soit 0,14% du nombre total de Roms ! A la différence des « gens du voyage » (manouches, tziganes, gitans, sintis,…), les Roms sont des migrants venus d’Europe de l’Est, principalement de Roumanie et de Bulgarie. Sédentarisés, pour les derniers, pendant la période communiste, ils ont repris la route à la recherche de meilleures conditions de vie lorsque l’imposition du système capitaliste sur le bloc de l’Europe de l’Est a mis en péril leur logement, leur travail, et leur accès aux soins gratuits. Malheureusement, la non-maîtrise d’une langue étrangère, leur faible niveau d’éducation, et un mode de vie différent des autres, leur ont parfois imposé des stratégies de survie qui dégradent leur image. Ainsi, bien qu’étant un héritage historique remontant à l’époque byzantine, le nomadisme des Roms est un mode de vie qui contribue depuis longtemps à leur stigmatisation en Europe. Ces transhumances humaines sont-elles pour autant le choix d’une population résolument nomade, ou plutôt la nécessité de réfugiés économiques qui fuient la pauvreté et l’exclusion ? 

Une réalité socio-sanitaire difficile et qui se dégrade 

Comme toute communauté, les Roms obéissent à des codes et des lois internes, mais doivent aussi se plier aux exigences légales des pays qui les accueillent, et qu’ils traversent. Ils sont cependant supposés avoir accès, en tant que citoyens européens, aux besoins essentiels tels que la santé, l’éducation, un lieu de logement, la justice et surtout, comme ils le demandent prioritairement, avoir le droit de travailler. L’interdiction de travailler qui leur est faite par le gouvernement français les oblige de fait à ferrailler, mendier et développer des petits métiers tous interdits… Et donc à contrevenir à la loi ! On observe cependant, au sein de cette population,  une augmentation de la prostitution féminine et une augmentation de la prostitution masculine, principalement des mineurs pour ces derniers et notamment à Paris, ce qui rend la question du droit à l’éducation et au travail, cruciaux. Parfaitement documentées dans les rapports de diverses institutions européennes, les discriminations répétées subies par les Roms, en France comme en Europe, touchent aussi bien au domaine de l’éducation, du logement, de l’accès à l’emploi, de la santé, quand il ne s’agit pas d’incitations à la violence, perpétrées par des hommes politiques. Les associations travaillant auprès des populations Roms depuis de nombreuses années, en France comme à l’étranger (dans l’accompagnement de programmes de réinsertion en Bulgarie, par exemple), sont parfaitement conscientes des difficultés et des contraintes de leur situation. Elles n’ignorent pas pour autant que certains délits sont parfois commis, comme ils le sont par d’autres personnes, mais elles refusent la pénalisation d’une communauté entière, pour les agissements de quelques uns. Un verdict collectif, à l’inverse d’un verdict individuel, ouvre, de fait, la porte à de fausses et dangereuses conclusions. Un espace d’action et de réflexion existe, un espace construit sur le réel et non pas sur des visions simplistes, teintées d’angélisme ou de cynisme. Face à la description d’une réalité fantasmatique déclinée par certains responsables politiques, il est possible de témoigner objectivement d’une réalité socio-sanitaire dans laquelle les populations Roms ne font pas figures de privilégiés. Ainsi, les données sanitaires de Médecins du Monde montrent le degré de précarité auquel sont confrontées les familles Roms : mortalité néonatale précoce de 1,9% (vs population française : 0,22%), mortalité infantile de 2,35% (vs population française : 0,48%), espérance de vie entre 50 et 60 ans, taux de couverture vaccinale à jour de 15% des moins de 7 ans et 5% des adultes, taux d’incidence de tuberculose de 250/100 000 (vs population française : 8,9/100 000). 

Une irresponsabilité politique calculée et dangereuse 

Dans un contexte de crise économique durable, où la perte d’un emploi peut signifier la perte de tout, la rétractation sociale et le réflexe sécuritaire sont compréhensibles, à défaut d’être légitimes. Leur instrumentalisation, en vue des élections présidentielles de 2012, par des propos stigmatisants sur des minorités déjà précarisées comme les Roms, relève d’une stratégie aux risques mal calculés.  Plus qu’une  dérive raciste dénoncée par certains, il s’agit avant tout d’une certaine forme d’irresponsabilité politique. Comme en Italie il y a quelques mois, et aujourd’hui en France, elle ouvre les portes au populisme et aux exactions de certains de nos concitoyens à l’encontre des Roms et des acteurs de la solidarité en faveur des Roms. Pour demeurer une puissance politique respectée, le gouvernement français doit garder la tête froide et ne pas chercher d’illusoires boucs-émissaires aux tensions engendrées par la crise économique mondiale. La communauté internationale, de l’ONU au Vatican en passant par l’Union Européenne et certains Etats, a exprimé son inquiétude au vu des politiques actuellement menées sur le thème de l’immigration et de l’insécurité, et particulièrement celles qui, depuis quelques semaines, ciblent les Roms. La récente polémique européenne, suite aux propos du Commissaire européen aux droits fondamentaux sur la « circulaire du 5 août 2010 », comme sa prompte réécriture ministérielle, témoignent à la fois des tensions engendrées et de la position inconfortable de la France sur la scène internationale.  Face à ce constat et ce contexte, il n’est pas souhaitable de rentrer dans une polémique simplificatrice et démagogique mais il faut espérer que les mises en gardes internationales, très dures pour certaines à l’égard de la France, seront entendues par le gouvernement, pour que cesse cette politique de stigmatisation et de criminalisation de la précarité. Au vu des nombreux conflits (Rwanda, Balkans, Darfour) où la généralisation de méfaits attribués à un groupe spécifique de population a souvent constitué le prélude à des violences de tous ordres, il faut refuser aujourd’hui la démagogie qui entoure les discours et les actes sur la question sensible des Roms en France et en Europe. En raison des complexités de cette problématique, seules la pédagogie et la tolérance permettront d’aborder les nuances du  « réel » et de chasser les certitudes du « fantasme ». Sans angélisme, mais en refusant catégoriquement les amalgames stigmatisants et la criminalisation de la précarité dans un contexte économique dégradé… 

(article déjà publié sur ce site en septembre 2010)


[1] Le mot « Roms » est cité 11 fois sur un document de 3 pages !

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Grotius: 2 ans et pleins de projets en tête…

Posté par Jérôme Larché le 4 avril 2011

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 Grotius.fr                                                                                                                  Edition de mars 2011

Chaque mois Grotius.fr, thématique média et humanitaire, vous propose des

reportages, des analyses et des entretiens de qualité.



Grotius.fr ou la géopolitique de l’humanitaire…


Grotius.fr a deux ans. La première édition de ce mensuel d’analyse et de reportage sur l’action

humanitaire et les discours médiatiques en temps de crise est sortie le 2 avril 2009. L’aventure se

poursuit, sans relâche. Le Comité de rédaction, en cette date anniversaire, se renforce :

Jérôme Larché,médecin, Chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique,

rejoint notre équipe en la qualité de Directeur délégué.

Autres arrivées importantes :

Mathilde Goanec qui dirige le Pôle Eurasie,

Jean-Jacques Konadjé en charge du Pôle Afrique,

Jérôme Diaz en charge du Pôle Moyen-Orient et Maghreb et

Soline Richaud qui aura la lourde tâche de s’occuper de la rubrique Santé internationale.

Nous les remercions.

A  la Une

Catastrophes technologiques et nucléaires, grandes pandémies :
les nouvelles frontières de l’humanitaire ?

Une analyse de François Grünewald.

Editorial

Savoir raison garder : les musulmans sont déjà dans la République.
Cette Tribune publiée dans Le Monde et sur Grotius.fr est signée par
Olivier Bobineau, chercheur au Groupe Sociétés Religions Laïcités (EPHE/CNRS) ;
Charles Coutel, professeur des universités ;
Philippe Portier, directeur d’études à l’EPHE ;
Stéphane Lathion, chercheur au Groupe de Recherche sur l’Islam en Suisse ;
François Mabille, professeur à l’université catholique de Lille ;
Émile Poulat, directeur d’études à l’EHESS ;
Jean-Paul Willaime, directeur d’études à l’EPHE.

Analyse

Regards du Monde sur l’Europe…
Par Dominique Kerouedan, Malik Dzhanaliev

Reportage

Pour ne pas oublier Tata Cissé…
Par Soline Richaud. Depuis cette rencontre, une année est passée…

Monde

L’écotourisme comme facteur d’ethnicisation de la société kirghize post-soviétique,
Par Johanne Pabion Mouriès

Pôle Eurasie
France-Russie : « Les dirigeants français ont abandonné l’idée d’aider la société civile russe… »
Un entretien avec Cécile Vaissié, professeur en études russes et soviétiques
à l’Université de Rennes 2, et spécialiste du monde intellectuel russe et soviétique,
réalisé, par Mathilde Goanec


Pôle Afrique
« L’homme africain » n’est pas hors de l’Histoire…
Par Jean-Jacques Konadjé

Urgence et Post-Crise
Ushahidi, un outil au service des crises…
Par Arnaud Bébien

Dossier
Monde arabe : de la révolte à la révolution ?
 

Retrouvez toutes nos rubriques habituelles :
Sur notre Agenda
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Si vous désirez nous contacter, nous proposer un texte ou faire un commentaire :

jjlouarn@yahoo.fr  ou ggrilhot@yahoo.fr 

Bonne lecture !

 L’équipe de Grotius.fr

 

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« Des Routes Humanitaires » fête ses 1 an

Posté par Jérôme Larché le 1 avril 2011

Un grand merci à tous les lecteurs-visiteurs du site « Des Routes Humanitaires » qui font vivre ce site par leurs passages et leurs commentaires. Cool

L’année 2011 s’annonce encore riche en évènements et situations, propices à des réflexions de fond mais aussi à des coups de gueule (et de coeur)!

N’hésitez pas à continuer à m’envoyer vos commentaires pour améliorer la forme et le fond de cet espace libre pour la pensée et la parole, sur les sujets concernant l’Humanitaire…mais pas seulement.

Le « taulier », Jérôme Larché

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Les Occidentaux doivent tirer les leçons de la crise libyenne

Posté par Jérôme Larché le 21 mars 2011

         L’intervention militaire aérienne sur le territoire libyen, emmenée par la coalition France – Royaume Uni – Etats Unis, avalisée par la récente résolution 1973 du Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU), et entreprise conjointement entre pays occidentaux et pays du monde arabe comme le Qatar, marque un tournant probable pour l’issue de la « Révolution libyenne ». Mais l’Histoire ne s’écrit pas sur une page vierge, et il serait déraisonnable d’occulter le passé récent des relations politiques, militaires et économiques entre le pouvoir libyen aujourd’hui aux abois, et les gouvernements occidentaux qui le dénoncent.

 Des crises complexes qualifiées à tort d’ »humanitaires »

La situation actuelle en Libye est exemplaire sur plusieurs aspects. Elle illustre tout d’abord la nature intrinsèquement politique de ces crises complexes qualifiées parfois – et à tort – d’ « humanitaires », mais aussi la « versatilité » décomplexée des postures prises par certains gouvernements occidentaux et la tentation pour ces mêmes acteurs de se saisir du présent pour faire oublier le passé.    

Bien que le principe onusien de « Responsabilité de Protéger » ait été invoqué lors de la soumission de la résolution 1973 au CSNU, il ne fait pas de doute que la réponse de la communauté internationale à la crise politico-militaire actuelle en Libye, est de nature politique. Les besoins humanitaires, en termes d’accès aux abris, aux soins, à l’eau et en nourriture, ont rapidement été pris en charge par les ONG présents à la frontière tuniso-libyenne, et de nombreux gouvernements, même ceux aux moyens limités, ont essayé de trouver des solutions pour rapatrier leurs ressortissants respectifs, qu’ils soient tunisiens, bangladais, ou chinois. En Libye, on dénombre déjà plusieurs centaines de civils tués et de nombreux déplacés, pris en étau dans le conflit armé entre les soldats mercenaires de Muammar al-Kadhafi et les forces militaires d’opposition. Il faut cependant noter que la plupart des dommages occasionnés aux populations civiles sont le fait délibéré des forces du régime libyen en place, ce qui, de facto, « pousse Kadhafi dans le viseur de l’ONU »[1]. La crise humanitaire majeure et la vague d’immigration massive tant annoncées, n’ont pourtant pas eu lieu. En tout cas pas suffisamment pour que l’inaction politique s’abrite derrière l’alibi humanitaire, comme cela avait été initialement envisagé[2] par l’Union Européenne (UE). 

Les armes dont se sert Kadhafi viennent des pays européens 

Si ce n’était la situation critique dans laquelle se retrouve des centaines de milliers de personnes aujourd’hui, les propos effarouchés de certains responsables politiques occidentaux sur le risque de dissémination des armes et de leur utilisation inappropriée contre des civils, pourrait presque prêter à sourire. En effet, les armes dont se sert aujourd’hui le colonel Kadhafi pour combattre ses opposants comme pour commettre ses exactions envers sa population, proviennent en grande partie de la Russie et des pays européens, dont la France. En 2009, 75 demandes d’agréments préalables ont été accordées et 58 autorisations d’exportations de matériel de guerre ont été délivrées par l’Etat français, pour un peu plus de 30 millions d’euros. La prise de commandes en 2009 s’est élevée à 19, 1 millions d’euros. Il s’agissait d’armes légères, de munitions tous calibres, de missiles, de matériel de transmissions et de contre-mesures, de matériaux de blindage, et de capacités d’imagerie[3]. Il est important de noter que chacune de ces ventes est soumise à l’octroi  d’une autorisation d’exportation par la CIEEMG (Commission Interministérielle pour l’Etude des Exportations de Matériel de Guerre), qui relève de la compétence du Premier Ministre. Au niveau européen, la France se situe au 4ème rang des exportateurs d’armes vers la Libye, derrière l’Italie, Malte et l’Allemagne. A elle seule, l’Italie représentait en 2009 un tiers du total des exportations d’armements de l’UE vers la Libye. D’autres personnalités préfèrent, dans des tribunes déclamatoires, traiter le dictateur libyen de « fou, dément, bourreau »[4], ce qui n’éclaire guère sur la complexité de la situation présente et risque de dédouaner involontairement ce dernier de la responsabilité de ses actes… Ces agitations médiatiques ne doivent pas cacher le fait qu’un accord cadre de partenariat global, portant sur une coopération économique ainsi qu’en matière de défense et de sécurité, avait été signé en 2007 entre la gouvernement français et la Jamahirya du colonel Kadhafi. Cet accord-cadre entre les deux pays a été rompu il y a très peu de temps… L’espace-temps d’une indignation ou d’un calcul stratégique? 

 UE: une union d’opportunité, et non de pérennité

En déplaçant le curseur de la réflexion à l’échelle européenne, on peut convenir que la vigoureuse action diplomatique française ayant conduit à l’adoption de la résolution 1973 par l’ONU, ne suffise pas à masquer les insuffisances et les fractures de la diplomatie européenne. En effet, le refus d’Angela Merkel, de voter en faveur de cette résolution, ne peut être seulement expliqué par des considérations politiciennes intérieures allemandes (impopularité de l’engagement des militaires allemands en Afghanistan, nombreuses élections régionales à venir). Sur cette question majeure de politique internationale, le couple franco-allemand, moteur plus que symbolique de la dynamique européenne, a montré ses limites et son désaccord. Entre la faiblesse de la représentation du Service d’Action Extérieur, que l’activisme individuel des Etats européens tend à compenser, et l’incapacité à réaliser une union politique significative, l’UE donne malheureusement des arguments à ceux qui voient dans l’Europe actuelle une union d’opportunités, et non de pérennité. Indépendamment du courage politique déployé ces derniers jours tout comme des résultats opérationnels qui en découleront, les erreurs d’appréciation politique (volontaires ou non) sur la nature véritable du régime libyen et de son évolution, ne peuvent être occultées. Il en est de même du degré de coopération développé entre la Libye et un certain nombre de pays européens, notamment sur les thématiques migratoires ou les politiques de défense et de sécurité. 

Si le « printemps arabe » tire sa force endogène des peuples qui se sont soulevés, il serait faux de croire que seul l’idéal de démocratie a guidé ces mouvements. Le contexte économique de ces pays en est aussi un élément primordial[5]. Quelque soit sa nécessité actuelle, la résolution 1973 de l’ONU et les actions militaires qui vont en découler ne doivent pas provoquer d’amnésie sur les pratiques passées, comme sur celles à venir, engagées entre un pouvoir autocratique et violent et les gouvernements de pays démocratiques. Sur le grand échiquier mondial, les pays occidentaux vont devoir comprendre les nouvelles règles du jeu, et être plus attentifs aux cases où les anciens pions peuvent soudain devenir des rois…ou des fous. 


[1] « Paris pousse Kadhafi dans le viseur de l’ONU », F. Rousselot, M. Semo, Libération, 18 mars 2011 

[2] http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/02/24/l-ue-examine-la-possibilite-d-une-intervention-a-but-humanitaire-en-libye_1484780_3212.html#ens_id=1481986 

[3] Rapport au Parlement « Les exportations d’armes de la France en 2009 », disponible sur le site http://www.sipri.org/research/armaments/transfers/transparency/national_reports/france/France%20report%2009 

[4] « Oui, il faut intervenir en Libye » Collectif (N. Bacharan, J. Birkin, et al), Le Monde, 15 mars 2011 

[5] « Un plan Marshall pour l’Afrique du Nord », JF. Daguzan, Le Monde, 17 mars 2011

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Lady Ashton, ne cédez pas à l’alibi humanitaire de la Libye !

Posté par Jérôme Larché le 24 février 2011

      Alors que les « révolutions » du monde arabe, notamment en Libye,  continuent de déjouer tous les pronostics des adeptes de la  realpolitik, la réponse des Etats occidentaux – et notamment européens – reste mêlée d’indignation (réelle ou feinte) et de prudence calculatrice. Plusieurs de ces Etats, et notamment la France, sont pourtant depuis des années ceux qui leur ont vendu les armes et les munitions, utilisées aujourd’hui contre les manifestants dans la rue. On ne refait pas l’Histoire mais quand celle-ci s’accélère, on a le choix de monter dans le train du changement ou de s’accrocher aux vieux réflexes. Paradoxalement, autant l’assertion de Donald Rumsfeld sur notre « vieux continent »  était erronée concernant la guerre préemptive en Irak en 2003 et ses prétendues armes de destruction massive, autant elle parait reprendre aujourd’hui de la valeur  quand on regarde la réponse européenne face aux soulèvements populaires qui secouent le Proche- et Moyen-Orient depuis deux mois.  ashtonkadhafi.jpg

 La récente volonté de l’Union Européenne d’examiner la possibilité d’une « intervention militaire à but humanitaire en Libye»[1] traduit malheureusement l’incapacité des nations européennes et du nouveau Service Européen pour l’Action Extérieure, placé sous l’autorité de Catherine Ashton, à affirmer une posture politique clarifiée. Encore une fois, l’alibi humanitaire est brandi pour dissimuler une hésitation ou un refus d’engagement diplomatico-militaire lisible face à un pays qui pourrait faire vaciller des intérêts énergétiques, commerciaux, et politiques (comme par exemple la politique de contrôle migratoire et les accords signés avec l’Italie de Silvio Berlusconi). La réponse européenne, tardive et très peu audible (Mme Ashton en ayant fait une « marque de fabrique » sur des crises précédentes), semble se centrer sur l’évacuation des ressortissants de l’UE et la crainte d’un afflux migratoire massif. Ces préoccupations, pour légitimes qu’elles soient, ne constituent pas une réponse adaptée face aux défis présents et à venir, nés du réveil de peuples qui ont fait sauter le verrou mental de la peur face à des régimes qui avaient depuis longtemps perdu toute autorité crédible à leurs yeux. L’utilisation du terme « humanitaire » est encore une fois dévoyée de son sens propre, pour gommer  les aspérités d’un engagement véritable et de décisions politiques assumés par l’UE. Malgré le gel d’un accord de partenariat UE-Libye, lancé en 2008 par la France, les Vingt-Sept n’ont en effet toujours pas réussi à trouver une position commune concernant des sanctions ciblées contre le pouvoir libyen, comme le gel des avoirs ou des poursuites judiciaires internationales. 

Pourquoi l’UE ne peut-elle assumer pleinement, au nom des valeurs qui la structurent, la mise en place d’un dispositif militaro-diplomatique sous mandat des Nations-Unies ? Pourquoi s’abriter derrière la sémantique humanitaire, dont les principes sont d’intervenir auprès des populations vulnérables, mais dont la fonction n’est surement pas de résoudre des crises politiques ? L’ambivalence de l’UE n’est malheureusement pas simplement conjoncturelle. Elle est également structurelle, et ce depuis que les Vingt-Sept ont, quasi-simultanément, validé le Traité de Lisbonne qui consacre l’ « approche intégrée » pour la résolution des crises, et signé le Consensus Humanitaire Européen, qui rappelle les règles d’indépendance, de neutralité et d’impartialité de l’action humanitaire[2]. Cette contradiction interne à l’UE (bien que critiquables, les Etats-Unis ont une position beaucoup plus claire sur le rôle de « multiplicateur de forces » et de levier de la politique étrangère américaine des ONG humanitaires), véritable schizophrénie institutionnelle, est un frein supplémentaire à la lisibilité de la diplomatie européenne. Alignée sur les positions atlantistes et renforcée par le retour récent de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, cette attitude ne correspond pourtant pas à la culture européenne des interactions entre aide humanitaire issue de la société civile et actions diplomatique et militaire. L’UE de Mme Ashton gagnerait à clarifier sa volonté de rechercher une solution politique à une crise politique en Libye, et non pas à déclencher une énième réponse « militaro-humanitaire », aux objectifs flous et contradictoires par nature. Probablement perçue par beaucoup comme une réponse incomplète et peu courageuse, elle resterait dans la droite ligne des attitudes de « realpolitik » que les peuples libyens, tunisiens et égyptiens viennent d’infirmer dans leurs rues. Soyez courageuse, Lady Ashton, ne cédez pas à l’alibi humanitaire de la Libye ! 



[1] http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/02/24/l-ue-examine-la-possibilite-d-une-intervention-a-but-humanitaire-en-libye_1484780_3212.html#ens_id=1481986

[2] Rappelant notamment que l’aide humanitaire n’est pas un « outil de gestion des crises ».

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L’enfer des toxicomanes de Kaboul

Posté par Jérôme Larché le 2 février 2011

Au cours du mois de décembre 2010, je me suis rendu en Afghanistan, auprès des membres de l’équipe de Médecins du Monde (MDM). Ensemble, nous avons rencontré les toxicomanes de Kaboul, ceux qui sont dans la rue et ceux que MDM a déjà pris en charge. Ce témoignage est pour eux et pour nos équipes.

Avec plus de 5000 seringues échangées, une centaine de patients hospitalisés pour des durées courtes, plus de 70 patients sous méthadone, des heures entières de discussion avec ces « usagers », et un patient travail de plaidoyer auprès des différentes autorités concernées (santé, police,…), MDM apporte aux problèmes liés à la toxicomanie en Afghanistan un début de réponse opérationnelle ainsi qu’une méthodologie déjà expérimentée avec succès en France et en Serbie.  On estime que l’Afghanistan, qui produit actuellement plus de 90% de l’opium mondial, compte 1 million de toxicomanes. Si certains d’entre eux sont restés dans les zones productrices, beaucoup sont désormais présents sur Kaboul et la fermeture du Centre Culturel russe, où ils se regroupaient autrefois, n’a fait que renforcer leur isolement et leurs difficultés. Depuis plus de 2 ans, cinq fois par semaine, les équipes de Médecins du Monde parcourent Kaboul dans les endroits où se réfugient spécifiquement les toxicomanes, populations vulnérables parmi les vulnérables. Comportant une majorité d’hommes vivant dans des conditions extrêmes, ils sont soumis à une véritable exclusion sociale et sanitaire. 

Quotidiennement, les équipes de MDM vont arpenter les zones dans lesquelles ils s’abritent et survivent. L’une d’entre elles sont les canaux à ciel ouvert d’évacuation des égouts de la ville de Kaboul. Reposant à même le sol, au milieu des détritus et des matières fécales, dans des patous (châles de laine typique en Afghanistan) ou sous des couvertures sales, ils s’injectent ou « sniffent » leur dose d’héroïne, qui coûte de 3 à 5 US dollars le gramme. On trouve parmi eux des Pachtouns, des Ouzbeks, des Tadjiks, ou encore des Hazaras. Dans cette diversité ethnique, la plupart ont une vingtaine d’années, certains sont plus âgés…et d’autres biens plus jeunes. Beaucoup d’entre eux, notamment les Hazaras, ont débuté leur toxicomanie en Iran, où ils étaient allés chercher du travail. Un dialogue précaire, mais de confiance, a pu s’instaurer avec les équipes d’ « outreach workers » de MDM, souvent d’anciens toxicomanes. Ils discutent avec eux, les réconfortent, leur donnent des kits de seringues propres, et leur permettent d’accéder à des soins de petite nécessité et au programme de substitution à la méthadone.  Un peu plus loin, nous rencontrons d’autres toxicomanes, sous le « Pulisorta Bridge », au dessus duquel passe un flot incessant de voitures et de piétons, absolument indifférents à la vie souterraine qui se déroule deux mètres au dessous d’eux. Dans une pénombre d’enfer et un froid glacial, les signes de vie se devinent à des nuages intermittents de buée humaine et aux scintillements discrets des feuilles d’aluminium dans lesquels la drogue est chauffée puis inhalée. Brutalement, des policiers apparaissent, chassant avec leurs pieds les hommes accroupis et leur criant des paroles agressives. Nos équipes s’interposent alors avec calme, expliquant la nature de notre travail. Se ravisant dans leur attitude ouvertement hostile, les policiers, dont il est avéré qu’un nombre non négligeable d’entre eux sont toxicomanes, ordonnent à 3-4 toxicomanes de les suivre. Je comprends alors qu’il ne s’agit pas d’une arrestation, mais que ces hommes sont réquisitionnés par la police pour effectuer toute une série de tâches ménagères au sein même du poste de police ! Après avoir été corvéables à merci, ils seront « libérés » à la fin de la journée, et ces réquisitions parfaitement illégales se déroulent ainsi quotidiennement… 

Ce jour de décembre,  d’autres hommes se sont regroupés dans un canal d’évacuation d’égout semi-gelé de Kaboul, accroupis comme le font habituellement les habitants du sous-continent indien, et en train de s’injecter leur dose. Là encore, l’irruption brutale de la police rompt le calme relatif qui s’était instauré entre nous. Cette fois-ci, les policiers ont dans l’intention de saisir l’argent et les téléphones portables, une pratique très habituelle de racket et de corruption envers ces populations déjà fortement précarisées. Notre présence et notre intervention négociée mettent fin à ces demandes et les policiers repartiront – pour une fois – bredouilles. Le dernier endroit visité s’appelle Doshaw, un quartier populaire du centre-ville de Kaboul. Semblables à des termitières géantes, sont rassemblées les briquèteries, grands fours aux dômes arrondis, et qui recèlent, dans leurs contrebas, des galeries creusées pour trouver l’argile nécessaire. Dans ces anfractuosités troglodytes, semi-naturelles et semi-industrielles, se cachent des centaines de toxicomanes. Il faut plonger dans ces grottes sombres pour les voir, et l’on sent que le premier sentiment qu’ils ressentent est de la crainte. Ils vivent réellement sous terre et forment, la nuit, une « ville-vie » souterraine. Un d’entre eux me montre une plaie infectée de la main extrêmement profonde ainsi qu’une plaie du cuir chevelu de plusieurs centimètres. Après avoir effectué les premiers soins, je reçois de sa part un sourire édenté gratifiant, qui ne résout pourtant pas la difficulté de sa situation – et celle de ses semblables -, soumis à des violences récurrentes de la part des policiers et du voisinage, et n’ayant aucun accès au système de soins afghan.  En effet, au-delà de la prise en charge de la toxicomanie et d’une indispensable stratégie de réduction des risques associant échange de seringues puis substitution par la méthadone, nous faisons le constat terrible que cette population est ostracisée au point de se voir refuser systématiquement l’entrée des hôpitaux publics de la ville. Inadmissible sur le plan déontologique, cette attitude des personnels soignants est pourtant le reflet d’une réalité, celui d’une perception négative vis à vis de personnes qui ne comptent pas. Un argument médical (état du patient trop grave ou pas assez grave, médicaments ou moyens  nécessaires pour traiter la pathologie causale non disponibles,…) est toujours subtilement avancé pour justifier le refus mais la réalité brute est que MDM n’a jamais pu faire admettre un seul patient toxicomane dans une structure publique hospitalière de Kaboul. 

Néanmoins, les choses bougent et il semble que le Ministère de la Santé commence à se préoccuper de l’impact sanitaire lié à la toxicomanie, notamment sur le plan de l’épidémie à VIH et des infections liées au virus de l’hépatite C. Les relations avec le Département de Lutte contre les Narcotiques, ministère de référence pour l’importation de méthadone, sont par contre plus tendues, et pour deux raisons principales. La première est que leurs priorités se focalisent plus dans la lutte contre le trafic des stupéfiants que dans les effets sanitaires de ce trafic. La deuxième est que beaucoup de médecins de ce ministère travaillent aussi dans des cliniques privées de « détoxification », c’est à dire en fait un sevrage brutal, avec une rémunération de l’ordre de 250 US dollars par patient. Involontairement, l’action de MDM s’est donc mise en concurrence avec ce « business » local, lucratif mais inefficace puisque le taux de rechute des usagers d’héroïne traités avec cette méthode est proche de 100%.  Que ce soit dans les canaux d’égouts, au milieu des poubelles sous les ponts de Kaboul, ou encore dans de véritables termitières géantes creusées par l’homme, ils sont là, entre eux, à partager au su de tous leur dose d’héroïne. Etre à leur contact, discuter avec eux pendant leur « shoot », être témoin des manœuvres d’intimidation, de racket, voire de travail forcé de la police, est pourtant d’une violence émotionnelle insoupçonnable. En effet, malgré leur situation, ces hommes ne sont pas éteints. Ils recèlent encore une humanité intacte, alors que leur environnement et leurs conditions de vie sont d’un dénuement total. 

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Les défis du terrorisme « glocal » : une nouvelle opportunité pour les ONG humanitaires occidentales ?

Posté par Jérôme Larché le 28 janvier 2011

            L’actualité récente, et tragique, avec la mort de deux jeunes français au Niger dont un humanitaire, a rappelé à ceux qui en doutaient que le Sahel, et particulièrement la zone s’étendant du Burkina Faso au Niger en passant par le Mali et la Mauritanie, était devenu  un  terrain complexe et dangereux. Ce (pas si) nouveau terrorisme « glocal » s’applique également aux zones tribales pachtounes, à la frontière aghano-pakistanaise.   

Il s’agit en effet d’un terrorisme se basant sur des dynamiques locales, tribales, faites d’alliances et de défections opportunistes, alimentées par des trafics d’armes, de drogue voire d’êtres humains, et de techniques de guérillas adaptées à chaque contexte, dans le désert sahélien comme dans les montagnes inhospitalières entourant la ligne Durand. Toutefois, la rhétorique utilisée par ces groupes terroristes, qu’ils soient katibat ou taleban, est celle du jihab global et leurs modalités de communication mêlent habilement techniques high-tech de l’information (internet, téléphones satellitaires), véhicules 4×4 transformés et pratiques ancestrales des porteurs de messages, indétectables par le renseignement électronique et satellitaires. 

                         De Peshawar à Dera Adam Khel (au Pakistan), en passant par l’erg Ach-Chech à Nouachkott (en Mauritanie), ces nouveaux « sanctuaires » sont marqués également par une défiance, voire une menace directe, envers tout ce qui apparait d’origine occidentale, et les ONG humanitaires occidentales, présentes souvent depuis des années et ayant tissé des liens forts avec les populations qui s’y trouvent, ont cru dans un premier temps qu’elles seraient épargnées par l’anathème djihadiste. La dure réalité les rattrape aujourd’hui et une adaptation de leur engagement opérationnel devient nécessaire. Néanmoins, le  danger serait de passer d’un extrême à l’autre, au risque de négliger les besoins croissants en termes d’accès aux soins, à l’éducation, ou de nutrition, des populations locales. Entre la paranoïa et la naïveté, il convient de cultiver la vigilance et l’intelligence. La posture à adopter est pourtant cruciale, devant être  guidée par les valeurs de l’humanitaire (notamment l’indépendance et la neutralité) mais aussi par du pragmatisme, sans céder pour autant à une démagogie « anti-occidentale ».

De tous temps, Occident et Orient ont cohabité, avec leurs valeurs, leurs différences, mais aussi leurs richesses respectives. Les ONG humanitaires occidentales doivent tisser ce lien avec leurs sœurs orientales, dans de véritables partenariats, opérationnels comme financiers. Plutôt que de chercher à se « désoccidentaliser », il conviendrait peut-être d’œuvrer à  changer le regard des autres en modifiant les  pratiques, à enlever toute ambigüité sur les objectifs envers les populations (comme cela persiste pourtant chez certaines grosses ONG ouvertement évangélistes), et accepter de ne plus être un modèle dominant mais un modèle parmi d’autres. L’enjeu de la sécurité n’est pas disjoint de ceux de l’acceptation et de la perception. Là encore, la paranoïa comme la naïveté ne sont pas de mise. Il existe des limites à l’acceptation mais en a-t’on réellement exploité toutes les facettes ? Dans les zones tribales du Pakistan comme en Afghanistan, le terme « ONG » est devenu synonyme de compromission avec les forces militaires de l’OTAN, et plusieurs ONG médicales internationales se font désormais identifier comme « associations médicales », terminologie plus neutre et plus acceptable localement. En miroir, le terme « associations » renvoie aussi au statut initial de l’action humanitaire, et nous amène à réfléchir sur la trajectoire de professionnalisation (entre)prise depuis 30 ans et des effets induits sur la perception. Infléchir plutôt que conquérir, proposer plutôt qu’imposer. De façon très juste, l’auteur américain Don De Lillo faisait décrire à un de ses personnages de roman, une « guerre haïku », une « guerre en trois vers. Aucun rapport avec l’état des forces en présence ou avec la logistique. »  Alors pourquoi pas un « humanitaire haïku », celui de la perception humaine en milieu naturel ? Là encore, repenser à ce que fut l’humanitaire en Afghanistan dans les années 80 n’est pas sans intérêt…

          Sans tomber dans une nostalgie impossible, il s’agit peut-être d’une occasion inespérée de revenir à l’ « objet humanitaire » d’origine, celui d’une aventure humaine collective et pas celui d’un « business » où l’on fait carrière. Par leur histoire, leur expérience et leur savoir-faire, les ONG occidentales ont un rôle à jouer dans ces nouveaux contextes. « Réinventer l’occident« , dans sa réalité comme dans sa symbolique, me parait plus réaliste que désoccidentaliser. Notre identité occidentale est immuable mais ce que nous en faisons, cela, nous pouvons le changer. 

 


[i] Don De Lillo « Point Omega », Ed Actes sud, 2010 

[ii]  Hakim El Karoui « Réinventer l’occident », Ed Flammarion, 2010

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Réflexions à propos du colloque sur les VLG organisé par Médecins du Monde

Posté par Jérôme Larché le 14 décembre 2010

Par Véronique de La Brosse, sociologue et consultante indépendante 

Sur les différents « terrains » où j’ai travaillé, comme dans mon environnement plus ou moins proche,  j’ai croisé des victimes ou des témoins de violences liées au genre: violences subies par quelqu’un en raison de son sexe, ou violences à caractère sexuel. 

Longtemps je ne me suis pas attardée, privilégiant l’analyse « en profondeur » des dynamiques qui engendrent et perpétuent l’oppression, comme, par exemple, l’institutionnalisation du conflit dans la famille polygamique. Celle-ci repose sur une mise en concurrence permanente des femmes, source de violence bien entendu, entre tous les protagonistes: mari, femmes, enfants, même si la seule violence légitime socialement encadrée peut-être, mais avec une grande élasticité_ est celle exercée par le mari sur ses épouses. La violence dans ce contexte m’apparaissait comme une conséquence parmi d’autres de la jalousie entretenue jour après jour avec une cruauté aussi pénétrante que routinière. 

Ce que m’ont aidée à comprendre des rencontres comme le colloque de Médecins du Monde sur les VLG, c’est à quel point la violence, loin d’être un épiphénomène,  est la condition et le moyen de l’oppression. Les effractions perpétrées sur le corps sont la négation de l’intimité, ce vers quoi tend toute forme de pouvoir en proportion de son caractère autoritaire, c‘est-à-dire de son manque de légitimité. L’identité sexuée doit être réduite ou asservie, et la violence, ou son éventualité toujours réitérée, est l’essence même du pouvoir. 

De la violence ordinaire à la violence scandaleuse y a-t-il un gouffre ou au contraire est-ce une question de gradation, ou même seulement de regard? Entre la victime qui ne peut se reconnaître comme telle qu‘au jour peut-être où elle extirpe de soi la violence subie en l‘infligeant à d‘autres et le témoin, proche ou lointain, qui se détourne (se passe-t-il encore quelque chose aujourd’hui qui échappe au regard d’un témoin?), la violence est comme un huis-clos ouvert à tous vents, un secret bien gardé par un polichinelle. A Asmara, Seyoum Tseggai, journaliste aujourd’hui disparu dans les geôles d’Issayas Afeworki, disait à propos des relations conjugales dans son pays: « Je ne sais pas où, ni quand, ils frappent leurs femmes, mais ils les frappent ». Mais soudain cette violence se démultiplie et devient incontrôlable, c’est-à-dire que le témoin se sent au point d’être happé par son souffle. 

Une source de violence lovée dans les dynamiques de ce qu’il est convenu d’appeler la  modernité réside dans la perte de statut liée au long déclin des activités productrices des femmes rurales, notamment les activités autonomes, celles dont le produit leur revenait entièrement et qui pouvaient devenir une véritable source de prospérité et d’influence. Aujourd’hui les femmes sont un peu partout en Afrique et ailleurs la principale main d’œuvre agricole, mais elles s’épuisent à assurer la survie quotidienne de communautés de plus en plus éclatées, dont l’élément masculin est majoritairement absent. 

Les violences dites de genre ne sont-elles pas tout autant l’expression de l’incompréhension et donc de la haine de notre époque à l’égard d’une couche sociale, la paysannerie, anachronique et dérangeante? Les femmes en sont les victimes parce qu’elles sont encore là, courbées sur la terre ou transportant la récolte, l’eau et le bois sur des distance toujours plus grandes, sans arme et sans protection. Tant qu’elles n’ont pas disparu, elles et leurs enfants, le grand viol de la terre, déforestation massive, pollution des cours d’eau, mise à sac des sous-sols, destruction de la biodiversité, ne peut s’accomplir sans témoin. 

Je m’interroge sur l’usage de  l’expression « violence liée au genre ». D’abord parce que les hommes aussi peuvent être victimes de violences sexuelles, éventuellement perpétrées par des femmes. Lors d’une autre rencontre sur les VLG, la modératrice de l’une des tables rondes a évoqué l’image vidéo d’une soldate d’une grande puissance aussi militarisée que démocratique, torturant un civil d’un pays ex-dictatorial  ravagé par une succession de guerres. L’auditoire n’a pas réagi. Les femmes bourreaux ne sont pas encore une catégorie visible, non plus que les hommes victimes de sévices sexuels. 

Une déclaration récente de Luis Moreno Ocampo à propos des poursuites engagées par la CPI pour de tels sévices commis en République Centrafricaine « sur des femmes et sur des hommes » me rappelle un témoignage entendu dans les camps de réfugié(e)s d‘El Aïoun, sur la «  Marche Verte «    lancée par le Maroc après le retrait espagnol du Sahara occidental: « Ils ont fait une chose que nous, les Saharaouis, nous ne connaissions pas: ils ont violé des femmes, et même des hommes! ». 

Certes les témoignages d’hommes sont moins nombreux, mais depuis combien de temps les femmes ont-elles commencé à parler, et à quel prix? Il manque une réflexion sur les questions de genre au masculin. Il y a aussi pour les hommes un honneur qui impose de souffrir en silence, et un opprobre qui transforme la victime en coupable. Et la chose est apparemment encore plus scandaleuse, puisqu’on a tant de mal à la concevoir. Pourtant dans certaines civilisations il existe un rituel  homosexuel entre supérieur et inférieur, patron et client, maître et élève _ gendre et beau-père selon des observations ethnographiques de Marcel Mauss. Le service sexuel serait une prestation obligée dans un rapport de dépendance, de soumission, etc. 

 Les VLG touchent également les hommes, c’est un fait, l’ampleur relative du phénomène, mal connue, ne justifie pas en tout état de cause qu’on l’ignore ni qu‘on le cantonne dans un coin inexploré de la conscience sociale. D’autre part, on commence à savoir que les bourreaux ont pu être  des victimes, et l’on pense à tous les enfants sans avenir, enfants des rues, enfants soldats: il manque des recherches sur les auteurs des violences de genre et leur passé. Enfin, les femmes aussi peuvent commettre de telles violences: sur les enfants d’abord _ et ce sont par elles que se perpétuent les MGF, sur des adultes vulnérables aussi. Les maltraitances sur les personnes âgées émergent comme un problème majeur dans les nombreuses sociétés, à travers le monde,  où la démographie est gravement déséquilibrée. Pour une large part leurs auteurs sont probablement des femmes, et leurs victimes des hommes. 

 Qu’elles s’exercent sur les femmes, les hommes ou les enfants de l’un ou l’autre sexe, les violences ne sont-elles pas le plus souvent liées au genre? Violence politique de la conscription forcée, violence économique de la migration soi-disant volontaire, violence domestique du dressage à la masculinité comme à la féminité… La violence est sexuée, elle prend des formes différentes selon le genre de ses victimes. 

Parce que la violence  se transmet et s’hérite d’un groupe à l’autre, d’une génération à une autre, comme un substrat culturel, le combat contre la violence doit prendre cette dimension genrée pour en démonter les mécanismes. Mais il faut que genre ne signifie pas seulement « féminin », il faut explorer aussi le  masculin et son expérience genrée de la souffrance, y compris celle infligée par le moyen du corps outragé d’une femme. Peut-être ainsi le genre masculin, connaissant mieux  sa propre vulnérabilité, sera-t-il plus à même de comprendre comment se construit celle des femmes. 

On a évoqué lors du colloque la chaîne de la violence, ou ses strates superposées, enfouies l’une en dessous de l’autre. La violence politico-économique, liée à une colonisation, une invasion, une guerre civile,  des réseaux de traite ou un processus implacable de concentration et d’appropriation  foncière, a vite fait d’entrer dans les mœurs et de devenir violence domestique, ordinaire et quotidienne. Décrite de l’extérieur comme culturelle,  consacrée par la coutume et la tradition, elle n’est plus scandaleuse. Il faut faire la  généalogie de cette violence, identifier les voies par lesquelles elle s’est introduite dans le corps social, remonter jusqu’à la racine du mal pour tenter de l’extraire. 

 Le colloque a  abordé à plusieurs reprises le lien entre violences en temps de guerre et en temps de paix, violences perpétrées par des gens en arme  ou par des civils: il a été observé dans certains contextes que les civils sont souvent d’anciens militaires ou miliciens laissés à eux-mêmes, avec leurs habitudes violentes et parfois leur arme. Mais il a été également souligné que les violences contre les femmes, y compris  les violences extrêmes, sont fréquentes même en dehors des zones de guerre. On reconnaît aujourd’hui l’ampleur du phénomène dans les pays industrialisés _ dès les années 60 une enquête de P-H et M-J Chombart de Lauwe montrait l’occurrence de la violence conjugale dans toutes les couches de la société française. Mais s’agissant de l’Afrique l’image d’une société villageoise avec ses traditions supposées immuables et consensuelles reste  prégnante: « Nos sociétés sont innocentes » me dit un jour une juriste d’Afrique sahélienne. 

Une étude sur les VLG en République Démocratique du Congo réalisée pour les Nations-Unies en 2008 par B. Kalambayi Banza (PNUD-Kinshasa, 2008) fait état d’une enquête selon laquelle « près de 7 à 8 femmes sur 10 de toutes les provinces du pays ont justifié qu’un mari peut battre sa femme si celle-ci commet un de ces actes : i) brûle la nourriture ; ii) argumente avec lui ; iii) sort sans lui dire ; iv) néglige les enfants ; v) refuse d’avoir des rapports sexuels avec lui« . En RDC comme ailleurs dans le monde, les « brimades » dont les femmes font l’objet dès leur naissance les amènent à intérioriser leur infériorité, à s’y réfugier même pour assurer autant que possible leur sécurité.   

La prévention a été évoquée lors du colloque à travers l’exemple, d’abord, d’une réflexion menée au Nicaragua par une association d’hommes qui développent un questionnement sur les fondements machistes  de la société civile et de leur propre comportement.  J’ai rencontré en Ethiopie des ONG locales dont l’action était centrée sur l’organisation de groupes de réflexion masculins en milieu rural sur le rôle (immense) des femmes dans la production et leur faible accès aux ressources et au processus de décision. Introduire des idées, offrir du temps et quelques moyens pour pouvoir réfléchir ensemble et dégager des pistes,  ce n’est pas un luxe mais une nécessité. En l’occurrence l’idée de base serait que les hommes ont besoin d’entraide pour se libérer des préjugés et des craintes dont ils sont victimes. 

Aspect majeur de la prévention évoqué pendant le colloque, la lutte contre l’impunité conçue comme réforme des dispositifs légaux et des appareils judiciaires donne l’impression d’une énorme machinerie qui tourne encore quasiment à vide. On se sent terriblement loin d’un accès à la justice garanti et protégé et d’une indemnisation des victimes, tant les questions  de gouvernance semblent autant d’insolubles préliminaires, à commencer par la mise en place de codes de bonne conduite et d’un contrôle effectif des pratiques des multinationales. S’agissant des ONG, malgré le langage de plus en plus technique de la constellation  humanitaire il reste visiblement beaucoup à faire pour renforcer la capacité  d’élaborer une vue d’ensemble de qui peut faire quoi et à quel niveau. 

Comme souvent lorsque les résultats restent très en deçà des besoins, il faut réfléchir aux méthodes: la prévention doit-elle être comprise essentiellement voire exclusivement comme lutte contre l’impunité judiciaire, celle-ci doit-elle se concentrer au niveau étatique? On a peu parlé d’associations de victimes, il semble que ces dernières, même lorsqu’elles sont prises en charge un certain temps  par des ONG, restent isolées mentalement; on parle généralement de la marginalisation des victimes rejetées par leur entourage, est-ce systématiquement le cas, n’y a-t-il pas aussi souvent,  parmi les proches, des personnes ressources qu’il faudrait appuyer dans leur effort de solidarité? Il y aurait peut-être beaucoup à apprendre en écoutant davantage de témoignages sur le vécu à moyen et long terme. Et ne faudrait-il pas accorder plus de moyens pour identifier des mesures de prévention conçue comme contrôle ou élimination de situations à risque et renforcement de la capacité d’autoprotection au niveau communautaire et individuel? 

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Haïti ou la géopolitique du choléra

Posté par Jérôme Larché le 14 décembre 2010

      A l’heure où l’on décompte aujourd’hui en Haïti plus de 2.100 morts et près de 140.000 personnes atteintes par le choléra, les conclusions du Pr. Piarroux, corroborées par une étude américaine récente parue dans le New England Journal of Medicine, mettent en évidence l’origine asiatique de la souche de choléra responsable de cette épidémie.

Officiellement débutée dans le département de l’Aribonite, elle atteint aujourd’hui l’ensemble du pays et l’Organisation Mondiale de la Santé estime qu’elle devrait provoquer au moins 400.000 cas dans les trois prochains mois. Au-delà des difficultés logistiques et organisationnelles de cette prise en charge par les autorités sanitaires haïtiennes et les ONG médicales présentes en Haïti, ce nouvel éclairage vient pointer la responsabilité potentielle, bien qu’accidentelle, des soldats de la MINUSTAH, et notamment ceux d’originenépalaise

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Epidémie de choléra à Katmandou

En effet, le séquençage génétique des souches de vibrion cholérique de patients haïtiens montrent des relations étroites avec les souches de type El Tor O1, isolées au Bangladesh lors des épidémies de 2002 et 2008. De plus, comme l’indique Renaud Piarroux dans son rapport, une épidémie de choléra sévissait à Katmandou (Népal) à l’époque où sont arrivés les contingents népalais du bataillon de la MINUSTAH.

Si le gouvernement français ne veut, pour l’instant, pas se prononcer sur les conclusions de celui qu’elle avait mandaté pour faire la lumière sur l’origine de cette grave épidémie, c’est parce qu’il a saisi les évidentes implications géopolitiques qui allaient en découler. Celles-ci risquent en effet de se montrer aussi dévastatrices que l’épidémie elle-même, pas pour les haïtiens mais pour les Nations Unies et la communauté internationale.

Des promesses, toujours pas concrétisées

Dans un contexte politique électoral tendu, associé à une situation humanitaire critique pour de nombreuses personnes, les promesses de dons des principales puissances économiques restent, pour l’instant… des promesses. En effet, malgré l’appel de 174 millions de dollars lancé par le secrétaire Général des Nations Unies le mois dernier pour mettre en place une réponse effective de lutte contre l’épidémie de choléra, seuls 20% ont été à ce jour financés. Le travail de prise en charge médicale et de sensibilisation, notamment auprès des populations déplacées, mené par les ONG – comme Médecins du Monde ou Médecins sans frontières – et les mouvements de la Croix-Rouge ne saurait suffire à contenir le phénomène dont le risque à moyen terme est l’évolution vers l’installation durable d’une endémie de choléra dans un pays qui est déjà l’un des plus pauvres au monde.

La responsabilité de l’origine épidémique pointant vers les pays d’Asie du Sud, combinée à la passivité d’une communauté internationale, notamment occidentale, peut se révéler un détonateur social et politique extrêmement préoccupant. Comme pour le tremblement de terre qui a fait près de 200.000 morts, cette épidémie de choléra se déroule sur un terrain de grande précarité socio-sanitaire, dans un pays où 80% de la population vit avec moins de 2 dollars par jour et où le taux de mortalité infantile, de 60/1000 naissances, est un des plus élevé au monde. Comme l’a très justement souligné le chercheur allemand, Harald Welzer, « les catastrophes sociales mettent à nu les coulisses de la société et en révèlent les fonctionnements et dysfonctionnements cachés ; elles ouvrent des fenêtres sur la vie souterraine des sociétés […]. Elles font ressortir, en matière d’espérance de vie et de survie, les inégalités normalement amorties par les institutions […]« .

Aubaine pour les sociétés militaires privées?

Plus que jamais, Haïti semble désormais incarner le double discours des grandes puissances face aux situations catastrophiques, qu’elles ont parfois provoqué ou tout au moins laissé perdurer. Le discours politique d’affichage, vocal et ambitieux, et celui de l’action, en retrait et sous-financé. Cela, les populations le comprennent et le tolèrent de moins en moins. Il est donc à prévoir que la perception par les Haïtiens de ces puissances économiques, comme des organisations gouvernementales ou non gouvernementales qui y sont associées, devienne de plus en plus négative et que cela engendre des enjeux de sécurité ayant pour conséquence ultime un accès de plus en plus difficile à ces populations aux besoins humanitaires, économiques et sociaux majeurs.

Dans un monde d’interdépendance, globalisé et où l’information se transmet de façon instantanée, il est fort à parier que cet « accident » onusien en Haïti soit le prétexte d’un refus de certains pays au déploiement de casques bleus, voire d’ONG humanitaires, arguant que même le principe de primum non nocere n’est plus respecté.

Il va constituer également un « effet d’aubaine » pour les lobbys de sociétés militaires privés qui, depuis des années, assènent qu’elles seraient en mesure de remplacer plus efficacement les forces de maintien de la paix des Nations Unies sur les terrains de conflits et de post-conflits. La communauté internationale doit donc arrêter la politique de l’autruche en Haïti, assumer ses responsabilités et ses erreurs, impliquer et financer bien plus fortement qu’elle ne le fait aujourd’hui les ONG locales haïtiennes, afin de ne pas laisser le champ libre à une perception négative irréversible qui, à terme, serait au détriment de la population haïtienne et qui ternirait de façon conséquente l’image des Nations Unies, en Haïti mais aussi sur bien d’autres terrains.

Au-delà de ses conséquences sanitaires majeures, cette épidémie de choléra risque donc d’être le déclencheur d’un nouveau séisme d’ordre géopolitique, dont on connait aujourd’hui l’épicentre mais dont, ni l’intensité ni les répliques, ne sont prévisibles.

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