Le 16 novembre prochain, se déroulera dans les locaux du Quai d’Orsay, à Paris, la Conférence Nationale Humanitaire (CNH), qui réunira à la fois les acteurs humanitaires et politiques, mais aussi des bailleurs, des chercheurs et des journalistes. Impulsée par le rapport Boinet – Miribel et soutenue par le GRUPC (Groupe de Réflexion sur les Urgences et le Post-Crise) – un groupe informel de réflexion constitué d’acteurs humanitaires et institutionnels – , la CNH est officiellement organisée par le Ministère des Affaires Etrangères.
La perspective d’une rencontre de niveau ministériel (le Ministre français des Affaires Etrangères, Alain Juppé, et la Commissaire Européenne à l’Action Humanitaire, Kristalina Georgevia, y seront présents) centrée sur l’action humanitaire des ONG françaises, est une opportunité stratégique à ne pas négliger, dans une période où avoir un simple rendez-vous avec un Secrétaire d’Etat peut s’avérer impossible, même pour les plus grosses ONG…
Au delà des thématiques retenues, et qui sont exposées dans l’article d’A. Boinet et de B. Miribel (édition d’octobre de Grotius International), la question cruciale est de redéfinir des modalités de dialogue, et d’éventuel partenariat, avec l’Etat et les bailleurs, dans un respect mutuel des rôles et des responsabilités.
Ces derniers temps, l’instrumentalisation – sémantique comme opérationnelle – de l’humanitaire à des fins politiques, est devenue un enjeu de controverses permanentes entre les ONG humanitaires et l’Etat français, qu’il soit seul ou intégré à des organisations comme l’UE ou l’OTAN. S’il paraît naturel que l’Etat agisse selon des motivations politiques dans certaines crises, alors il doit l’assumer comme tel, et non plus se retrancher derrière un « alibi humanitaire » dont plus personne – et bien au delà du cercle des ONG – n’est dupe, en France. Il arrive toutefois que les objectifs politiques d’un gouvernement coïncident avec les objectifs humanitaires des ONG, et l’on se retrouve devant une « convergence d’intérêts » qu’il serait parfois dommage de négliger. Lorsque ce n’est pas le cas, les ONG doivent pouvoir marquer leur différence d’appréciation et le dire aux autorités françaises pour qu’une inflexion s’opère, sans que le dialogue ne soit rompu pour autant.
L’autre enjeu majeur est celui de la contribution financière de l’Etat français aux situations d’urgences et de post-crise. L’indépendance financière complète n’étant une réalité que pour un nombre très restreint d’ONG, une discussion de fond sur les montants et les modalités d’attribution des financements disponibles pour ces terrains humanitaires complexes, s’avère nécessaire. Cela devrait également permettre à l’Etat français d’avancer une « stratégie de politique humanitaire » qui, pour gagner en lisibilité, mériterait d’avoir une déclinaison pluriannuelle.
Cette Conférence Nationale Humanitaire est surtout l’occasion, pour les ONG concernées, de montrer que la nature des relations à instaurer et à poursuivre avec les pouvoirs publics ne peut s’inscrire sur une feuille vierge : il nous faudra tourner une page avant d’en écrire une autre. Pour les humanitaires, comme les pouvoirs publics et les bailleurs, il s’agit avant tout d’un test de maturité. Maturité des ONG permettant la tenue d’un dialogue qui accepte la contradiction et cherche à éviter la rupture. Maturité des pouvoirs publics, et notamment de l’Etat, qui respectent réellement l’indépendance politique et opérationnelles des ONG. Maturité des bailleurs, partenaires essentiels, mais qui s’émancipent de la formule consacrée « qui paye, décide ». En quelque sorte, il s’agit de redéfinir le cadre des interactions possibles entre des entités plurielles aux objectifs et aux statuts multiples, conscientes de leurs différences, mais refusant aussi bien l’indifférence que l’instrumentalisation. Bien qu’intéressant, le « partenariat » ne constitue pas la seule modalité envisageable entre tous ces acteurs.
Dans l’hypothèse où cette « saine distance » entre les acteurs humanitaires et les pouvoirs publics / bailleurs serait trouvée, cela suffira-t’il à régler les enjeux structurels forts qui traversent aujourd’hui le champ humanitaire ? Probablement pas, car l’échelle appropriée est désormais au moins européenne et la crise financière (et politique) qui agite les 27 pays de l’UE et la Commission Européenne, n’incite pas à l’optimisme. La récente polémique sur la réduction significative du Fonds d’Aide Alimentaire Européen, poussée par l’Allemagne et d’autres pays, en dit long sur la question de la solidarité européenne et sur ses moyens. Outre le fait que cette réduction de l’aide alimentaire risque d’entraîner des centaines de milliers de personnes, vivant en Europe, dans une situation socio-sanitaire encore plus préoccupante qu’elle ne l’est aujourd’hui, elle est vraisemblablement le prémisse de réorganisations à venir pour d’autres organismes européens, acteurs et bailleurs importants de la solidarité internationale.
Les ONG humanitaires françaises ont donc le devoir, de part leur mandat et leur appartenance à la société civile, de maintenir une exigence et une vigilance sur la façon dont l’Etat français, mais aussi les institutions européennes, se positionnent sur les questions de solidarité – et non plus seulement de gestion des crises. Dans cette perspective, Grotius International se veut « médiacteur », pour que les opinions de tous puissent être partagées mais aussi pour que sur le terrain, au Nord comme au Sud, cela puisse avoir une traduction concrète. Notre participation active à la préparation de cette Conférence Nationale Humanitaire est le reflet de cette détermination.