La « Barack Care » adoptée : chance historique pour les Américains

Posté par Jérôme Larché le 2 juillet 2012

La validation constitutionnelle, ce jeudi 28 juin 2012, du cœur du Patient Protection and Affordable Care Act – la fameuse loi « Obama Care » -, par la Cour Suprême des Etats-Unis, marque un tournant historique pour la santé de millions d’Américains et constitue une importante victoire politique pour le Président Obama. Mais il s’agit d’encore plus que cela…

 

Le « bond en avant » sanitaire d’Obama

Depuis 2 ans, une véritable guerre de tranchées politico-juridique s’était  déclenchée entre démocrates et républicains, quant à l’adoption de cette loi visant à obliger chaque Américain à prendre une assurance santé, même minimale, et à imposer aux Etats d’étendre individuellement le système Medicaid, y compris aux plus démunis. Au-delà des multiples aspects techniques d’un texte législatif comportant 2700 pages, il s’agissait d’un véritable combat sur une valeur centrale pour les Américains, celle de la responsabilité individuelle. Vue d’Europe, et particulièrement de France, où le système de santé est essentiellement basé sur un principe de solidarité collective et de justice redistributive, la situation sanitaire des Etats-Unis paraissait incompréhensible. Et inacceptable.

Les technologies médicales et scientifiques de pointe présentes dans les grands hôpitaux américains côtoyaient (et côtoient encore) une misère radicale et une absence d’accès aux soins, que n’ont rien à lui envier les pays aux indices de développement humain les plus bas, comme la République Démocratique du Congo, la Centrafrique, le Niger ou l’Afghanistan. Dans un pays où 32 millions d’Américains sont encore dépourvus de toute protection sociale, les taux de mortalité infantile (indice généralement corrélé à l’état sanitaire d’un pays) du Bronx étaient considérés, par exemple, comme équivalents à ceux de l’Ouganda… Le courage d’Obama de s’attaquer à cet enjeu, et gagner un combat politique mobilisant des valeurs ancrées puissamment dans la conscience collective américaine, est vraiment à souligner. Dans cette lutte contre l’inégalité sanitaire, aux conséquences sociétales et économiques si désastreuses, la solidarité a fini par l’emporter sur la seule responsabilité individuelle, défendue farouchement, et égoïstement, par les républicains.

Le verdict de la Cour Suprême : l’intérêt supérieur comme sens du devoir ?

La Cour Suprême des Etats-Unis, composée de 9 juges, a donc tranché de justesse, ce jeudi 28 juin 2012, en faveur des démocrates (5 voix contre 4). avait donc  à répondre à plusieurs points cruciaux qui constituaient le cadre juridique mais aussi politique du Patient Protection and Affordable Care Act.

Tout d’abord, le Congrès américain avait-il le pouvoir constitutionnel d’imposer que chaque américain doive adhérer à une assurance de santé, sous peine de se voir infliger une sanction financière? A cette question sur la provision d’une « couverture santé minimale » pour chacun, la Cour Suprême a répondu positivement. Une réponse contraire aurait en fait mutilé et fragilisé considérablement l’ambitieux projet de Barack Obama . Le deuxième point crucial était ce que devenait le texte dès lors qu’une réponse négative aurait été faite au premier point (la question ne se pose finalement – et heureusement – pas). Le troisième élément, sur lequel Barack Obama n’a obtenu qu’une réponse positive partielle, concernait l’expansion coercitive de Medicaid dans tous les Etats. En effet, la Cour n’a pas autorisé une autre disposition de la loi qui aurait permis l’élargissement de la couverture médicale aux plus démunis, soit 16 millions d’américains, répondant ainsi à la demande de 26 Etats républicains. L’Etat fédéral peut donc augmenter les fonds des Etats souhaitant participer à ce programme, mais ne peut pas retirer aux Etats refusant de l’appliquer l’argent dont ils bénéficiaient déjà dans le cadre de Medicaid. Enfin, cette nouvelle loi, censée être mis en œuvre dès 2014, ne devrait pas non plus être resoumise à la Cour Suprême pour des questions de validation constitutionnelle.

Au final, cette décision, dont le secret était un des mieux gardés de Washington, constitue pour le Président Obama une victoire politique indéniable. Victoire politique dans l’instant, à cinq mois des élections présidentielles, et qui confirme aussi bien sa ténacité que son sens de la stratégie. Mais surtout une victoire politique sur le long terme, car l’Histoire devrait retenir qu’il a été le premier Président des Etats-Unis à faire bouger aussi significativement les lignes du système sanitaire Outre-Atlantique, au bénéfice – en termes de santé publique – de plusieurs dizaines de millions de ses concitoyens.

Des leçons à prendre en Europe, et particulièrement en France…

            Si nos spécialistes (médicaux et économiques) prennent la mesure de l’adoption de l’ « Obama Care » aux Etats-Unis, cela devrait les inciter peut-être à un peu plus de courage politique et de vision décentrée des seuls enjeux économiques, sur ce que représentent réellement des priorités de santé publique et le devoir de les mettre en œuvre . Alors qu’un gouvernement démocrate américain se battait pour obtenir un accès aux soins, plus équitable et moins inégalitaire, au bénéfice de sa population,  nous avons vécu ces dernières années en France, une minutieuse tentative de déconstruction libérale de notre système de santé et d’assurance maladie. Il est certes imparfait et très probablement corrigible, mais il prône (prônait ?) avant tout une éthique de solidarité où chaque citoyen, y compris les personnes sans-papiers, pouvait y avoir accès, même partiellement. La pénurie organisée des hôpitaux publics et les nouvelles formes entrepreneuriales de gestion hospitalière (financières comme en ressources humaines) ont participé à cette récente déstabilisation.

Tout en admettant que les contextes sont très différents et que le système de soins français reste encore une belle vitrine des acquis du Conseil National de la Résistance, la tendance prise ces dernières années au nom de la rigueur budgétaire va paradoxalement à l’encontre de la démarche et des perspectives du combat mené par le Président Obama. Essentiellement économique, la « nouvelle » vision sanitaire hexagonale va surtout à l’encontre des fondations de notre modèle de société, où les principes fondamentaux de solidarité et d’équité dans l’accès aux soins sont préservés depuis bientôt 70 ans. Va-t’on savoir réagir à temps et sauver notre système de protection sociale, qualifié naguère de « meilleur système de santé au monde » ?

Une autre piste de réflexion, moins sanitaire que juridique, s’ouvre aussi pour nos institutions et tout particulièrement pour le Conseil Constitutionnel où, à la différence des Etats-Unis, siègent nos anciens Présidents de la République. Renforcé désormais dans ses pouvoirs, le Conseil Constitutionnel joue un rôle beaucoup plus actif et immédiat sur les lois adoptées par le gouvernement. Ne serait-il pas temps, comme l’a récemment suggéré Robert Badinter, de modifier la composition dudit Conseil, pour éviter la surenchère de conflits d’intérêt politiciens ? La décision favorable aux démocrates, rendue par la Cour Suprême, n’a pu l’être qu’avec la voix « pour » de son président, le juge John Roberts, pourtant nommé par G.W. Bush. Le résultat aurait-il été le même si G.W. Bush en personne avait eu la possibilité de prendre part au vote ?

 

 

Les réactions virulentes et violentes des élus républicains, et notamment de Mitt Romney qui promet d’abroger la loi le premier jour de son mandat s’il est élu, témoignent du séisme politique dont sont « victimes » aujourd’hui les opposants à cette loi. Barack Obama n’a bénéficié d’aucune chance pour expliquer sa victoire.  Dans un combat politique rempli d’écueils, il a courageusement saisi l’opportunité d’aller affronter les républicains sur un terrain idéologique que l’on croyait miné pour les démocrates. Grâce à lui, 32 millions d’américains supplémentaires vont pouvoir désormais bientôt bénéficier d’un accès (même partiel) aux soins, sans que leur vie et leur emploi ne soient plus directement menacés par une maladie ou un accident de la route sans gravité. Cette « chance » historique ne mériterait-elle pas que la loi s’appelle désormais la « Barack Care » ?!

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La « sécurité » : nouveau piège pour les humanitaires

Posté par Jérôme Larché le 21 juin 2012

Depuis quelques années, les problèmes de sécurité sont devenus pour les acteurs humanitaires un véritable enjeu. Enjeu politique face à la multitude des problématiques et des nouvelles sémantiques de sécurité (sécurité opérationnelle, alimentaire, sanitaire, environnementale, humaine…) qui ont brouillé les lignes de vision en en faisant bien plus qu’une question uniquement diplomatico-militaire. Enjeu opérationnel car l’insécurité, réelle ou perçue, de certains terrains peut constituer une menace et une entrave pour les humanitaires et leurs projets. Il convient donc d’examiner pourquoi le nouveau cadre du concept de sécurité mais aussi la technicisation progressive des réponses apportées, peuvent constituer un piège insidieux pour les acteurs humanitaires et les populations concernées.

 

Un contexte favorisant l’insécurité

Depuis les années 90, le nombre et la violence de conflits intra-étatiques (Balkans, Grands Lacs, Soudan, Afghanistan) ont progressé, avec une tendance à la polarisation et la radicalisation. Un grand nombre d’Etats et de groupes armés non étatiques sont engagés dans des affrontements revêtant parfois un caractère mondial, collision de systèmes de valeurs et de croyances. La polarisation prend différents aspects comme « la guerre contre le terrorisme » et « la division Nord-Sud ».  La « guerre contre le terrorisme » a conduit des Etats à s’affronter à des mouvements non étatiques utilisant des stratégies asymétriques, déterminés à s’opposer à ce qu’ils perçoivent comme une influence occidentale « néo-coloniale ». La division Nord-Sud , certes ancienne, soulève des questions économiques fournissant le terreau d’idéologies militantes dans des communautés frappées par la pauvreté. En même temps le nombre d’acteurs humanitaires, comme leur capacité potentielle d’action, ont décuplé. Dans cet environnement, les organisations humanitaires sont exposées au risque d’être rejetées ou manipulées.

Les humanitaires ont de plus été mis, et se sont mis, sous les feux médiatiques ce qui a pu faire croire à certains que l’action humanitaire pouvait constituer un substitut à l’action politique. Des Etats comme certains organismes internationaux, ont ainsi été convaincus que l’action humanitaire pouvait devenir un instrument de gestion des crises, au même plan que des actions militaires ou politiques .

 

L’insécurité des humanitaires : bien réelle mais localisée

Dans les conflits armés et sur les terrains complexes, la sécurité des acteurs humanitaires conditionne directement leurs capacités d’accès et d’assistance aux populations civiles.  Leur acceptation locale et la compréhension fine de leur environnement doivent devenir de perpétuelles interrogations, sans quoi la probabilité de survenue d’un incident grave s’accroît considérablement. Il est aujourd’hui bien démontré que les pertes de travailleurs humanitaires civils sont plus importantes que celles des troupes assurant les opérations (maintien ou imposition de la paix). Depuis 3 ans, plus de 200 humanitaires ont été tués, blessés sérieusement ou kidnappés chaque année.

La répartition de ces incidents graves de sécurité n’est cependant pas uniforme, et certains conflits armés sont particulièrement en cause. En effet, lorsque l’on sépare la fréquence des violences perpétrées contre des humanitaires au Darfour, en Afghanistan et en Somalie (ainsi que dernièrement au Pakistan et au Tchad), de celles perpétrées dans les autres pays, la figure globale perd de son homogénéité. En fait, hormis dans ces cinq pays, la sécurité des humanitaires s’est plutôt améliorée. Il est important aussi de savoir que les travailleurs nationaux sont les principales victimes, essentiellement en raison de leur nombre (90% environ de l’ensemble des acteurs humanitaires) qui augmente de façon mathématique leur exposition au risque. Néanmoins, ces attaques de nature de délibérées, violentes et létales sont de plus en plus motivées par des raisons politiques – visant des ONG internationales et surtout occidentales -. 

 

La sécurité des humanitaires : un « business intra-humanitaire » florissant

Les problèmes de sécurité rencontrés par les acteurs humanitaires sur les terrains de conflits ne sont donc pas une mais des réalités. Les solutions adaptées à ces réalités ne peuvent être trouvées que dans une démarche contextuelle, et non dans un cadre formaté, reproductible à l’identique sur chaque terrain.

Le maître-mot est l’adaptation, qui nécessite une certaine souplesse dans les schémas d’organisation liée à une autonomie relative des terrains.

Pourtant, bien que la plupart des ONG revendiquent cette capacité d’adaptation, les schémas organisationnels comme les formations délivrées sur les enjeux de sécurité deviennent de plus en plus standardisés et externalisés. Certaines organisations sont désormais devenues des prestataires de formations rémunérées (comme RedR), et d’autres, comme l’International NGO Safety and Security Association (INSSA), entendent promouvoir des « normes » de sécurité qui seraient, à terme, nécessaires à une labellisation des ONG. Cette tendance normative est portée par une vision occidentalo-centrée de l’humanitaire, qui ne correspond plus forcément aux attentes des populations, et encore moins à celles des différentes parties au conflit. Les différents bailleurs internationaux soutiennent largement ce cadrage, et exigent désormais que le volet  « sécurité » soit explicitement précisé dans les projets de programmes proposés à financement. Dans certains cas, l’enveloppe « sécurité » peut aller jusqu’à 20% du budget total ! Pourtant, force est de constater aujourd’hui que les ONG diluent encore leur ligne budgétaire « sécurité » au sein des autres lignes car les gouvernements hôtes restent très sensibles sur cette question (comme au Soudan par exemple), et qu’il n’en existe pas d’évaluation financière précise.

 

Privilégier l’intelligence au renseignement

Les ONG sont donc confrontées à une double contrainte  et à une double réflexion. Tout d’abord, assurer sans discrimination la sécurité des acteurs humanitaires opérant dans la petite dizaine de pays comportant des risques majorés objectifs et réels. Et le faire d’une manière qui ne « militarise » pas leurs interventions mais qui, au contraire, exploite au maximum les avantages d’une acceptation par les populations. Deuxièmement, prendre en compte le cadre désormais élargi du concept de sécurité, et éviter de participer aux approches globales qui lient dans une connexion étroite la sécurité et l’aide (humanitaire et développement). Il s’agirait donc de prendre une position politique plus ferme et plus visible sur un refus de la stratégie 3D (Defense-Development-Diplomacy), comme l’a fait récemment OCHA (le Bureau de Coordination de l’Aide Humanitaire). Le Consensus Humanitaire Européen a également clarifié que l’aide humanitaire ne pouvait être un instrument de gestion des crises, mais le récent conflit en Libye a montré que beaucoup de gouvernements n’hésitaient pas à se servir de l’alibi humanitaire pour des interventions militaires aux objectifs éminemment politiques.

La technicisation et la privatisation croissantes des questions de sécurité par les ONG, officiellement motivées par des raisons d’efficacité opérationnelle et d’efficience économique, est également préoccupante. La gravité des enjeux soulevés, et le coût humain qui en résulte, interdisent toute polémique stérile, l’objectif étant bien évidemment de gérer au mieux la multitude de contraintes. Néanmoins, il ne faut pas renoncer à analyser cette question dans tous ses aspects – opérationnels, politique, sémantique -  ni à se remettre en permanence en question quant à sa potentielle instrumentalisation. Il ne peut donc exister de réponse globale à des situations majoritairement explicables par des facteurs locaux. Pour ne pas tomber dans le piège du discours d’une insécurité globale qui justifierait des mesures normatives généralisées, les ONG n’ont pas d’autre choix que de privilégier l’intelligence au renseignement.

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La Syrie extrême et l’ « Empire du Milieu »

Posté par Jérôme Larché le 21 juin 2012

Les combats qui font rage en Syrie ont déjà faits plus de 8500 morts et les populations civiles des villes de Homs, Rastan ou Idleb en sont les principales victimes. L’accès humanitaire y est toujours extrêmement difficile  malgré les négociations menées par le CICR, l’accès est soins y étant même devenu un élément tactique de contre-insurrection pour le pouvoir syrien.  Contrairement à ce que l’on pouvait pressentir voici quelques mois, aucune solution politique directe et cohérente ne semble se dégager à présent, sauf si l’on pense que le référendum constitutionnel récemment proposé par Bachar El-Assad représente un renouveau de démocratie…  L’attitude de la Chine, extrêmement soucieuse de ne pas interférer dans les affaires internes des pays, est perçue par les pays occidentaux comme un déni des droits humains et en cela, critiquable. Au-delà de cette émotion première, il convient de s’interroger si l’ « Empire du Milieu » n’est pas autant une solution qu’un problème aux blocages de la crise syrienne.

 

Un pouvoir syrien démocide

La complexité des enjeux autour de la situation en Syrie ne parvient plus à en masquer l’horrible simplicité. Un pouvoir aux abois est en train d’assassiner son peuple, empêchant toute forme d’aide élémentaire de parvenir à ceux qui en ont besoin. La ville de Homs, ville martyre, et toute sa population, sont ainsi sacrifiées par le président El-Assad, dans une vaine tentative pour désarmer le processus qui, inexorablement, mènera à sa destitution. Ce médecin, qui avait le sang en horreur, en a désormais les mains pleines. La mort récente de plusieurs journalistes, l’exfiltration difficile des blessés vers des pays voisins, la défection régulière de plusieurs ministres, illustrent le point de non-retour qui a été atteint.

 

Une absence de « communauté internationale »

Même si la déstabilisation de la Syrie, pays pivot du Moyen-Orient, apporte une réelle incertitude sur les jeux politiques et militaires des pays avoisinants (comme le Liban, Israël ou l’Iran), la poursuite du massacre en Syrie est porteuse de dangers encore plus grands. Les positions fermes des Etats-Unis, de l’Europe et de la Ligue Arabe, ponctuées de sanctions diplomatiques et économiques, ne parviennent toutefois pas à faire plier ce régime. Cette incapacité des grandes puissances pointe d’une part  la nécessaire réforme du Conseil de Sécurité des Nations Unies, garant de la paix et de la sécurité internationales, mais aussi les différences importantes de concept des relations internationales exprimées par les régimes russes et chinois. On est loin d’un consensus sur l’application d’une « paix libérale », pourtant le modèle dominant actuel. 

L’attitude hostile de Moscou et Pékin à toutes ces initiatives diplomatiques traduit-elle la « puissance » réelle de ces deux pays, face à un « bloc occidental » – et ses alliés -, trop confiant dans sa capacité de dissuasion politico-militaire après l’épisode libyen ? Au fond, à quoi assiste-t-on ? A un défi diplomatique ouvert entre deux conceptions d’exercice du pouvoir et de la place des peuples face à ce pouvoir. Leur soutien au régime syrien semble pour l’instant intact (du moins en façade), même s’ils tentent de lui faire comprendre que la violence exagérée contre les civils ne fera qu’accentuer la désapprobation internationale, rendant toute négociation ultérieure encore plus difficile. De leur côté, les gouvernements occidentaux et leurs alliés arabes (la plupart sunnites) approuvent et légitiment les mouvements rebelles, sans franchir le pas de l’aide militaire, craignant sans doute d’attiser le conflit.

La « porte de secours » humanitaire

Ne pouvant trouver d’issue politique, les gouvernements occidentaux et leurs alliés arabes tentent maintenant de trouver une issue humanitaire, avec l’aide des Nations Unies. Si la critique diplomatique est aujourd’hui partagée par ces derniers, le régime autocratique syrien a pourtant semblé fréquentable de nombreuses années, car l’absence de démocratie était compensée par une utilité de négociation (avec l’Iran) voire même de stabilisation (au Liban) à l’échelle régionale. C’est donc plus contraints et forcés par l’extrémité des violences syriennes, inacceptables aux yeux de l’opinion publique, que les occidentaux ont « lâché » le pouvoir de Damas. On notera toutefois la quasi-silence de la diplomatie européenne, et en particulier du Service d’Action Extérieure de l’Union Européenne, affaiblissent de facto les négociations en cours, aussi bien avec la Syrie qu’avec la Russie ou la Chine.

L’Histoire récente montre que lorsque les Etats commencent à brandir l’argument humanitaire, c’est qu’ils se trouvent à court d’option stratégique, politique comme militaire. On se souviendra de l’incongruité des « corridors humanitaires » proposés par la diplomatie française au Darfour, alors qu’il s’agissait (et s’agit toujours) d’une zone de conflit sans ligne de front délimitée, en tâches de léopard. Que des propositions similaires soient faites aujourd’hui concernant la Syrie manque singulièrement de clairvoyance sur les réalités opérationnelles de ces « guerres de guérilla » (pour paraphraser Ernesto Che Guevara), conflits asymétriques où combattants et civils sont intimement mêlés, devenant tous  des cibles légitimes pour les violences des forces de l’ordre et des milices chahiba syriennes. Que 90 000 civils, dont bon nombre de blessés – soignés souvent très sommairement voire amputés -,  aient déjà gagné le camp jordanien de Riba Al-Sarhan, témoigne aussi de cette indiscrimination dans le choix des cibles. Les efforts actuels du CICR, tout comme de l’ancien Secrétaire Général  des Nations Unies, Kofi Annan, pour négocier un accès humanitaire en faveur des populations civiles sont ardus, sans preuve tangible d’un accord en vue.

Le destin syrien suivra-t’il le destin soudanais ? Celui d’un régime autocrate, violent, doté de forts leviers de coercition militaro-politique, mais aussi disposant précieux appuis internationaux comme ceux de la Chine et de la Russie, leur assurant une survie politique et institutionnelle…

La « solution » chinoise

Comme au Darfour, une des clés majeures pour déverrouiller le conflit syrien se trouve sans doute en Chine, à des milliers de kilomètres de la ville de Homs et de ses morts.  Puissance à l’économie puissante mais intégrée aux flux mondiaux, l’ « Empire du Milieu » possède-t’elle  en fait tous les atouts politiques pour rester totalement sourde au message que les pays occidentaux cherchent à lui faire passer ? Le temps qu’elle mettra à infléchir sa stratégie de soutien absolu à Bachar El-Assad – et ce,quelle qu’en soit la manière -, sera le marqueur de sa réserve de « puissance ».

Ces deux dernières décennies ont, en effet, vu la Chine montrer des signes d’ouverture pour jouer un rôle plus actif dans les affaires internationales, considérant qu’il s’agit d’une période d’opportunité stratégique.  Elle le fait toutefois avec ses concepts, ses valeurs millénaires, mais aussi ses rapports de force interne qui oscillent entre un « Rêve chinois », militairement conquérant, et la volonté d’un développement pacifique pour « cultiver l’harmonie ».  Eloigné géographiquement et idéologiquement du régime syrien, aligné conjoncturellement avec la Russie (avec qui, elle partage plus de frictions que de passions !), conceptuellement peu sensible aux droits de l’Homme dans sa politique étrangère, le pouvoir chinois a très certainement dégagé une vision élargie et à long terme (favorable à ses intérêts) de la crise syrienne.

Une autre crise régionale, toute proche, pourrait toutefois modifier la posture de la Chine plus rapidement que prévu, mériterait au moins d’être étudiée dans ses interactions possibles avec la Syrie : l’Iran et le développement de son arsenal nucléaire. En effet, une fermeture du détroit d’Ormuz par l’Iran, soumis à de fortes pressions internationales, serait probablement peu appréciée  par la Chine, à la forte dépendance énergétique en gaz et en pétrole. Dans ce cas, les soutiens mutuels et triangulaires entre Chine, Iran et Syrie pourraient changer de nature…

Ouvrir les perspectives et déterminer les bonnes stratégies

Outre les droits humains et humanitaires que les ONG doivent continuer à défendre, la recherche d’une véritable solution politique doit inclure une lecture au moins régionale, couplant les deux crises – plus dans leurs interactions possibles que dans leurs identité individuelle, et fondamentalement dynamiques dans leur évolution possible.  Les dérives violentes du régime syrien ne semblant pas devoir s’arrêter,  les  efforts de coopération diplomatique entre les grandes puissances (occidentales, eurasiatique et asiatique), les organisations politiques régionales, et le régime de Bachar El-Assad  doivent se poursuivre.

Sun Tzu écrivait dans L’Art de la Guerre : « La guerre est une grave affaire de l’Etat, […] un lieu de vie et de mort, […] une affaire à méditer soigneusement. […] L’armée victorieuse est victorieuse d’abord et cherche la bataille plus tard ; l’armée vaincue livre d’abord bataille et cherche la victoire ensuite. »

S’agit-il d’une partie d’échecs dont le contrôle du « centre de gravité » de l’échiquier amènera à une offensive clausewitzienne  rapide, « point décisif » cher à la vision occidentale ? Ou s’agit-il d’un jeu plus subtil, plus proche du wei-qi (l’équivalent du jeu de go), où la meilleure des attaques (diplomatiques) est indirecte et où l’équilibre des forces se modifie insensiblement. Favoriser la souplesse de l’encerclement stratégique, en jouant sur l’avantage psychologique, et en essayant d’éviter le conflit direct : telles sont les concepts fondamentaux de la stratégie chinoise. Si la position diplomatique actuelle de la Chine reste critiquable, il convient néanmoins de mieux réfléchir à la stratégie qui guide cette position. Une vision univoque purement moralisante, tout comme purement réaliste, n’est pas adaptée. Essayons plutôt d’en deviner le shi, l’ « énergie potentielle » exploitable qui permettra de faire évoluer la situation.

 

 

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Conférence Nationale Humanitaire : un dialogue humanitaire renouvelé…et des doutes

Posté par Jérôme Larché le 21 juin 2012

Les mots ont un sens. Le dialogue engagé, ce 16 novembre 2011, à Paris, entre acteurs de l’humanitaire et pouvoirs publics, lors de  la Conférence Nationale Humanitaire (CNH), a-t-il tenu toutes ses promesses ?

Certes, il a été ponctué d’engagements réciproques, de bonne volonté affirmée et de reconnaissance mutuelle. Si tel était l’objectif de la Conférence Nationale Humanitaire, le pari a été gagné… Toutefois, revenir à des relations plus apaisées ne signifie pas un règlement des divergences de fond qui ont été plus effleurées que réellement discutées.

Vers un apaisement des relations entre Etat et ONG humanitaires ?

En effet, il y a quelques mois seulement, certains dirigeants des plus grosses ONG françaises écrivaient au Premier Ministre pour faire part de leurs inquiétudes sur « leur relation à l’Etat français », en insistant sur la nécessaire responsabilité du devoir d’assistance des ONG « qui ne peut être subordonné aux intérêts politiques, militaires et stratégiques »[1].

Pourtant, les questions essentielles de  perception, d’acceptation, de « confusion des genres » entre action humanitaire et civilo-militaire ont peu surgi dans le débat lors de la CNH. Quand Jérôme Larché, Directeur délégué de Grotius International, a précisé que les enjeux de sécurité majeurs pour les acteurs humanitaires étaient réels mais avant tout des phénomènes localisés à une demi-douzaine de pays en conflit, (et dans lesquels des interventions militaires internationales étaient parfois déployées), la réaction des autorités françaises a semblé un peu réactive et « épidermique », se rabattant sur les travailleurs humanitaires inexpérimentés envoyés sur le terrain. Agacement feint ? Sujet sensible ? Toujours est-il que la sérénité de façade a paru se lézarder à l’écoute de certaines vérités qui fâchent…

La déclaration de Serge Mostura, directeur du Centre de crise (CDC) au Ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE), concluant que : « La CNH est un point de départ, la suite des évènements sera ce que nous en ferons » reste toutefois encourageante pour la suite.  Pour mieux saisir l’importance de ce « point de départ » et l’absence de diabolisation  de l’Etat et de ses représentants par les acteurs humanitaires, nous proposons ici un verbatim non-gouvernemental et gouvernemental. Temps forts…

 

Verbatim non gouvernemental et gouvernemental

 

Alain Boinet, Directeur général de Solidarités International : « Il n’y a pas de fatalité dans le partenariat entre pouvoirs publics et acteurs humanitaires ».

Benoit Miribel, Président d’Action contre la Faim, reconnait « parfois, une certaine arrogance de la part des ONG humanitaires ».

« Non gouvernemental ne veut pas dire anti-gouvernemental » déclare Jean-Marc Boivin, Directeur général d’Handicap International France.

François Grünewald : « Nous avons besoin de l’argent de l’Etat, mais il ne faut pas que ce soit une prise de contrôle ». Le Directeur général et scientifique du Groupe URD souligne « l’éparpillement des financements » et « la multiplication des guichets », affirme qu’ « il ne faut pas opposer l’argent de l’humanitaire et l’argent du développement » et prône une plus grande cohérence.

Vers un dépassement des séquences Urgence et Développement ? « L’idée de reconstruction est ‘absorbable’ par le public donateur », explique Francis Charhon, Directeur général de la Fondation de France. En clair, l’opinion publique serait plus sensible à des appels aux dons pour reconstruire que pour développer.

La France, puissance économique et diplomatique. Mais pas humanitaire. « Que les ONG ne soient pas le stylo pour écrire la doctrine humanitaire de la France » a mis en garde Pierre Salignon, Directeur général de Médecins du Monde. « Les ONG doivent être dans le débat, apporter des retours sur expériences », mais demande en substance Pierre Salignon, qu’elles ne se substituent pas à l’Etat.

Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération : «  L’action humanitaire est une dimension essentielle de notre politique extérieure ». Henri de Raincourt qui souligne « la complémentarité entre l’action de l’Etat  et celle des acteurs de l’humanitaire » et la nécessité de renforcer la confiance entre partenaires.

Alain Juppé, ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et européennes, a, dans son allocution de clôture, assuré « avoir pris bonne note des pistes de réflexion (…) Cette conférence nourrira nos réflexions (…) J’ai entendu votre appel au partenariat », affirmant que « ce dialogue indispensable doit être ponctué de rendez-vous réguliers », rappelant que l’engagement humanitaire de la France passe par l’Europe et le contexte actuel de crise de l’euro.

« Faire mieux et différemment avec autant » avait proposé plus tôt Sandrine Chopin, administratrice de Coordination Sud et représentante permanente de Handicap International à Paris.

Ce 16 novembre 2011, les pouvoirs publics n’ont donc pas écouté une complainte. Ni même une plainte. Quelques reproches, certes, vite couverts par des propositions, des pistes de réforme pour que la France prenne toute sa place dans le système humanitaire mondial.

Après la CNH, « le combat humanitaire continue » a lancé Alain Boinet. Comme pour prendre date… sur le terrain humanitaire et diplomatique.

Rony Brauman, ancien président de MSF et Directeur de recherche au CRASH/MSF, présent à cette conférence : « Je suis venu avec plaisir dans cette enceinte (ndlr : la CNH)… Ma présence ici ne doit pas être interprétée comme une adhésion à ce grand dessein de partenariat entre ONG et Etat (…) MSF n’a jamais voulu avoir de relations institutionnelles avec l’Etat français ». Ou, donc, le cavalier seul assumé. Dans l’historique humanitaire français, ce cavalier seul assumé pèse de tout son poids et influence. Nous touchons là à des particularités du paysage français. Contradictions  « à la française » en quelques sortes… qui suscitent intérêts au-delà de nos frontières. Et qui nous plonge, aussi, au cœur de débats portés bien au-delà de nos frontières hexagonales.

Les paroles d’un Ministre et d’une Commissaire Européenne

Alain Juppé, le Ministre des Affaires Etrangères et Européennes, a enfin énuméré  un certain nombre de priorités politiques de la France concernant l’action humanitaire. Priorités présentes et à venir.

Il a tout d’abord réaffirmé l’engagement de l’Etat sur l’action humanitaire, malgré les contraintes budgétaires, que ce soit pour la poursuite de contributions aux ONG, et dans le soutien à la défiscalisation des dons.

La seconde priorité affichée par le chef de la diplomatie française est de renforcer le dialogue avec les acteurs de l’humanitaire, l’Etat devant rester « un interlocuteur attentif ». Mr Juppé a alors préconisé la création d’un groupe de concertation humanitaire.

Sa troisième priorité a trait à la question de la coordination sur le terrain entre acteurs étatiques et non étatiques, qu’il souhaite meilleure.

Enfin, le Ministre a préconisé de travailler plus collectivement pour améliorer l’accès aux populations, ce qui implique un dialogue renforcé entre ONG, organisations internationales et Etats, notamment lorsque les enjeux de sécurité deviennent une contrainte majeure (comme en Libye ou en Somalie). Le gouvernement devrait donc s’atteler à la rédaction dune « Stratégie Humanitaire Nationale », définissant les critères d’engagement, les différents temps de la crise, ainsi que des modalités d’amélioration de l’efficacité de l’aide et de son évaluation.

Cet « exposé ministériel » serait incomplet si nous n’interrogions pas le niveau européen, symbolisé par la présence de Kristalina Georgevia, Commissaire Européenne à l’Action Humanitaire, à la CNH, et « patronne » de la DG-ECHO, principal bailleur mondial des ONG et autres agences humanitaires (ONU essentiellement) qui opèrent sur les terrains de crises.

La signature du Traité de Lisbonne – en créant le Service Européen pour l’Action Extérieure et en le plaçant sous l’autorité de Catherine Ashton – a entraîné certaines inquiétudes sur les critères de financement qui prévaudront à l’avenir pour répondre aux crises.

Le politique va-t-il supplanter l’impartialité qui caractérise aujourd’hui l’action de la DG-ECHO et cette dernière a-t’elle les atouts pour préserver son indépendance relative dans la complexité des institutions européennes ?

Kristalina Georgevia a tout d’abord rappelé que la CNH doit poser les bases d’une réflexion commune sur les enjeux humanitaires. Puis, elle a mis en avant le Consensus Humanitaire Européen comme principale clé de lecture de la Commission Européenne – y compris du Service d’Action Extérieure –, qui entendait préserver l’indépendance politique et l’impartialité de la DG-ECHO. Elle a également défendu le principe d’une autonomie financière conséquente, avec un budget annuel d’au moins 1 milliard d’euros pour la période 2014-2020.

Cette Conférence Nationale Humanitaire était une nécessité et l’ensemble des acteurs, gouvernementaux comme non gouvernementaux, ont honnêtement relevé ce pari. Il faut maintenant une suite à ce « point de départ », et nous verrons alors si la maturité des relations entre ces acteurs, qui semble souhaitée par tous,  a atteint le niveau requis. Après les mots et les maux, le temps des actes concrets est maintenant attendu par (presque) tous.

 

Auteurs :

Jérôme Larché, médecin, Directeur Délégué de Grotius International, Enseignant à l’IEP de Lille et Chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique

Jean-Jacques Louarn, journaliste, fondateur et Directeur de Grotius International.

 

 

 

 


[1] Mettre ref Grotius

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Guerres et action humanitaire : l’importance des mots justes

Posté par Jérôme Larché le 21 juin 2012

          Après la Libye, l’actualité internationale a désormais comme focus essentiel la situation en Syrie où les massacres de civils se déroulent quotidiennement, et où il devient extrêmement difficile de faire la part des choses entre information vérifiable et désinformation de la part des différentes parties au conflit. A l’heure où le spectre d’une intervention armée se dessine à nouveau, un certain nombre de constats et de réflexions s’impose à l’aune des expériences récentes de ces guerres dites « humanitaires ».

Tout d’abord, notons le glissement sémantique progressif de la dernière décennie où le terme « guerre » a été accolé à de nombreuses situations qui ne recelaient aucun caractère militaire. On parle désormais de guerre économique,  des devises monétaires, de l’anchois…  Dans le même temps, l’affrontement entre deux Etats ou entre un Etat et des entités non-étatiques se dénomme désormais conflit ou intervention armée. L’utilisation concomitante de l’adjectif « humanitaire » a accentué cette  inversion des valeurs qui, politiquement, vise essentiellement à justifier la mise en œuvre de moyens militaires, mais aussi atténuer la perception dramatique de son coût réel.

La guerre est un « fait social total », et très souvent la poursuite logique d’une action politique menée par un ou plusieurs Etats. La légitimité morale de la guerre, et notamment des guerres dites « justes » est naturellement très polémique, car dépendante du corpus culturel et politique de chaque intervenant  au débat (et pas seulement des politiques et des militaires qui prennent la décision de l’engagement). Il est donc difficile de vouloir y associer une réelle objectivité car c’est le plus souvent de la parfaite subjectivité qui guide la position des uns et des autres. Les âpres discussions qui ont suivi chaque intervention militaire ces vingt dernières années témoignent de cela, qu’il s’agisse du Kosovo, de l’Irak, de l’Afghanistan, et même du Timor.

Le constat libyen

S’il faut accepter cette intersubjectivité dans les processus de légitimisation morale de ces guerres, on peut aussi souligner que « l’intervention militaire, pour des raisons humanitaires, est le reflet d’une vision utilitariste des relations internationales », en contradiction avec « la métaphysique originelle du jus ad bellum »[1]. Si la mise en avant des concepts de guerre préventive et préemptive s’est estompée avec le départ de G.W. Bush, le récent conflit en Libye montre que l’alibi humanitaire a encore de beaux jours devant lui. Les Etats de la coalition arabo-occidentale qui ont mené cette guerre pouvaient-ils en mesurer toutes les conséquences à venir ? Rien n’est moins sûr, mais la réalité libyenne actuelle suscite pourtant de graves inquiétudes, tant sur le plan humanitaire qu’en termes politiques. MSF s’est, par exemple, récemment retiré des prisons de Misrata en raison des nombreux cas de tortures constatées par ses équipes médicales, et très vraisemblablement perpétrées par les autorités libyennes actuellement au pouvoir. En outre, depuis le 1er juin dernier, une nouvelle loi interdit aux ONG libyennes de recevoir des financements d’ONG étrangères ou de bailleurs internationaux (sauf s’ils sont enregistrés au Ministère de la Culture et de la Société Civile). On peut aussi noter que  des ONG étrangères qui défendent les Droits de l’Homme, se sont vues interdites de déplacements dans le sud du pays, où persistent des foyers de violence. Sur le plan politique, la réalité de la fragmentation clanique et tribale des nouvelles autorités libyennes a fait voler en éclat l’impression d’unité qu’avait pu donner le CNT (Conseil National de Transition) dans ses négociations avec la « communauté internationale ».  Le changement d’attitude récent du CNT envers les ONG étrangères et les journalistes, tout comme l’adoption d’une loi autorisant la prise en compte des confessions obtenues sous la torture, ne sont surement pas des éléments rassurants.

Enfin, il faut reconnaitre aujourd’hui que le conflit en Libye a eu des répercussions bien au-delà des frontières de ce pays. La circulation renforcée d’armes et de mercenaires participent désormais à la déstabilisation de la zone sahélienne, et à l’insécurité croissante de cette région.

Une nécessaire mise à plat des enjeux

On pourra arguer que ne rien faire en Libye aurait été également condamnable, mais c’est là où la discussion bascule invariablement dans la subjectivité puisqu’il s’agit alors d’une hypothèse contrefactuelle, par nature invérifiable. Et donc difficilement attaquable. Le débat sur ces questions importantes est-il condamné à s’enliser dans un discours rhétorique et une dialectique stérile ?

A l’aune d’une possible intervention en Syrie et dans la perspective des incertitudes politiques liées au retrait progressif des troupes occidentales d’Afghanistan, un certain nombre de questions et de constats méritent d’être pris en considération par les décideurs.

Tout d’abord, reconnaître que les objectifs politiques sont prééminents dans le choix des actions (comme des inactions), et que les objectifs humanitaires servent, au pire, d’alibi et, au mieux, correspondent à des convergences conjoncturelles d’intérêt. Si les Etats entendent appliquer de véritables stratégies humanitaires, celles-ci ne doivent-elles pas pouvoir, à un moment donné, se dé-subordonner à la raison d’Etat pour rester crédibles. ?

Deuxièmement, bannir définitivement la sémantique humanitaire du vocabulaire politique et militaire concernant ces interventions armées, qui brouille les perceptions et accentue les risques d’insécurité pour les travailleurs humanitaires. Parler d’ « intervention armée à but humanitaire » est un oxymore, à la fois inopérant sur le plan conceptuel et dangereux sur le plan opérationnel. Si l’on ne peut reprocher aux médias de véhiculer ces expressions fourre-tout que d’autres prononcent, leur responsabilité ne consisterait-elle pas à y accorder  une vision plus critique ?

Troisièmement, il est parfaitement établi que les populations civiles, et particulièrement les plus vulnérables, sont les principales victimes des conflits armés internes, ou des conflits opposant des groupes armés à des coalitions d’Etats. Quelle va y être la place réelle de la « responsabilité de protéger » ? Un outil efficace pour la protection des civils ou encore une justification annexée par une minorité d’Etats ?  Les politiques étatiques de protection des personnes (ne participant pas de façon directe au conflit) doivent bien sûr rappeler l’obligation d’appliquer le droit humanitaire international. Mais au-delà du jus in bello, ne pourrait-on collectivement réfléchir à la manière dont les sociétés civiles des pays qui s’engagent dans un conflit armé pourraient avoir un droit de regard sur la façon dont le jus ad bellum et le jus post-bellum ont été pris en compte, au préalable, par leurs gouvernements respectifs ?

Enfin, les exemples récents de l’Irak, de l’Afghanistan et de la Libye montrent que l’action humanitaire des ONG nationales comme internationales – et qui sont souvent les seuls recours d’assistance aux populations dans ces contextes – est loin d’être facilitée, aussi bien pendant qu’après la survenue de ces conflits armés. Quelles sera la situation des ONG en 2014, après le retrait des troupes de l’OTAN, dans un Afghanistan fragmenté, au pouvoir central très fragile, et où les insurgés reprennent déjà leurs marques ? Quelle sera la marge réelle de négociation des ONG et acteurs humanitaires occidentaux après plus de dix ans de conflit post-11 septembre ? Aujourd’hui, les ONG travaillent-elles véritablement en Libye ou restent-elles à proximité de la frontière libyenne des pays limitrophes, comme la Tunisie ou l’Algérie?

 

Dans un monde de plus en plus gris et aux repères incertains, la responsabilité (et la difficulté) pour chaque acteur – ONG, gouvernements, organisations internationales – est donc de tenir son rôle et de savoir jusqu’où le curseur de l’acceptable peut être poussé. Se confronter à la réalité complexe des conflits armés aujourd’hui et tenter d’y apporter des solutions malgré les incertitudes, c’est affronter avant tout le champ des possibles sans démagogie,  dogmatisme idéologique ou pragmatisme purement cynique.


[1] A. Colonomos in « Justifier la guerre ? » Dir. G. Andréani et Pierre Hassner, Ed Sciences Po, 2005

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Les guerres continues du Soudan

Posté par Jérôme Larché le 21 juin 2012

Selon un rapport non officiel, rédigé récemment par trois anciens membres du panel d’experts de l’ONU chargés de surveiller les violations de l’embargo sur les armes au Darfour, le gouvernement soudanais  continuerait de s’approvisionner en munitions de fabrication chinoise pour attaquer les civils au Darfour. Ces derniers mois, la montée en puissance des affrontements ouverts entre le Soudan et le Sud Soudan a fait resurgir le spectre d’une nouvelle guerre entre ces deux entités, sur fond de contrôle des gisements pétrolifères et de lutte contre l’hégémonie du pouvoir de Khartoum.

 

La guerre oubliée du Darfour

La réduction dramatique de la couverture médiatique du conflit au Darfour n’empêche pas une toute autre réalité de s’imposer à ses habitants : la guerre continue belle et bien, même si elle revêt d’autres formes.  Désormais, il semble que le gouvernement de Khartoum ait adopté une tactique plus ciblée, qui est de s’attaquer spécifiquement au groupe ethnique des Zaghawa, en déployant des miliciens « non arabes », en écho à sa tactique précédente qui avait été d’utiliser abondamment les Janjaweed, les fameux « cavaliers du diable ». Selon le rapport précédemment cité, plus de 70 000 civils auraient fui le Darfour depuis les attaques de 2011. En 2010, les forces armées soudanaises avaient déjà lancé une vaste offensive contre les forces rebelles du Sudan Liberation Movement (SLM) d’Abdel Wahed Nur, dans le massif montagneux du Jebel Mara, causant le déplacement d’au moins 100 000 personnes, majoritairement des populations civiles. La violence de ces attaques, notamment sur la ville de Deribat, et l’impossibilité pour les ONG humanitaires présentes dans le Jebel Mara d’accéder à ces populations, ont provoqué une catastrophe humanitaire, sans que les médias ni les politiques ne s’en fassent véritablement l’écho.

Depuis 2011, les bombardements aériens dirigés contre les populations civiles ont repris, notamment dans des zones habitées par des Zaghawa, comme Shangal Tombay. Dans ce contexte de poursuite du conflit, que les accords de paix signés en 2006 au Nigeria puis à Doha n’ont pas réglé, les diverses forces rebelles ont repris l’initiative politique, en se regroupant au sein du Sudan Revolution Front (SRF). Ainsi, les branches du Sudan Liberation Movement / Army (SLM/A), dirigées respectivement par Minni Minawi et Abdel Wahed Nur, ont renforcé leur coopération politique et militaire avec le Sudan People Liberation Movement / Army-North (SPLA-N), dans le cadre du SRF.

Cette régionalisation des enjeux politico-militaires complique encore la tâche de l’ONU et de l’Union Africaine, dont les deux forces déployées – l’UNAMID (Un-African Mission in Darfur) au darfour et l’UNMISS (UN Mission in South Sudan) au Sud Soudan – n’ont ni le mandat ni la capacité opérationnelle de faire face aux conflits synergiques (Darfour, Sud Kordofan, Nil Bleu et Monts Nuba) qui secouent désormais ces deux pays.

 

La mobilisation de Khartoum contre le Sud Soudan

Les modalités de la partition du Soudan en deux pays, suite au référendum d’autodétermination du Sud Soudan en 2011, et surtout l’absence de règlement diplomatique préalable du statut des zones pétrolifères qui chevauchent la frontière de ces deux nouveaux Etats, rendait quasiment inévitable la résurgence de nouveaux affrontements entre les ennemis d’hier.

La ville pétrolière d’Heglig est devenue récemment (avril 2012) le symbole de ce nouveau conflit qui, dans les paroles des dirigeants de Juba (Sud Soudan) mais aussi de Khartoum (Soudan), devient une véritable guerre ouverte. Après de multiples attaques du territoire sud-soudanais, par voies terrestre et aérienne, les responsables du Sud Soudan ont en effet attaqué la ville d’Heglig, située au Sud- Kordofan, et donc en territoire soudanais, même si elle est habitée essentiellement par des Dinka et des Nuer, ethnies sud soudanaises. Cette attaque reflète les deux objectifs que se contestent les protagonistes soudanais : le pétrole et la nature du régime politique à Khartoum.

Ce n’est pas un hasard non plus si le gouverneur de la province du Sud Kordofan n’est autre qu’Ahmed Mohammed Aroun, ancien ministre nord soudanais chargé des affaires humanitaires lors des premières années du conflit au Darfour (à partir de 2003), et désormais inculpé par la Cour Pénale Internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Or, ce dernier apparait sur un document récupéré par le SPLA-N dans les Monts Nuba, et diffusé par la chaîne qatarie Al Jazeera, dans lequel il déclare à des miliciens et des membres des forces armées soudanaises : « Amsah, aksah, kushu ! Ma jibhu hay ! » (« Faites place nette, chassez-les, occupez-vous en ! Ne les ramenez pas vivants ! »).

Bien que l’Union Africaine et l’ONU aient demandé au SPLA de se retirer d’Heglig – dont le gisement représente la moitié de la production pétrolière soudanaise -, et qu’Haroun ait contesté avec force les propos diffusés,  on peut constater que tous les ingrédients pour une nouvelle guerre meurtrière entre les deux Soudan sont en place…

La dynamique fédératrice du Sudan Revolution Front (SRF)

Initié au départ par les trois principaux groupes rebelles du Darfour – Justice and Equality Movement (JEM), ainsi que les deux branches du SPLM/A, celles des Fur et des Zaghawa -, le SRF a déjà obtenu quelques succès militaires, mais curieusement, ni les médias internationaux, ni les organismes chargés de négocier la paix au Darfour, ne s’en sont fait l’écho. La raison possible est que la volonté politique affichée de ce « front » est de faire tomber le régime de Khartoum, et non de renégocier un nouvel accord de paix.

Au-delà de la stratégie militaire offensive obtenue par l’union des forces rebelles face au National Congress Party (l’actuel pouvoir soudanais), il faut noter que le SRF a déjà obtenu des soutiens non négligeables, que ce soit de membres influents de l’Umma Party, le parti dirigé par le petit fils du célèbre Mahdi (tombeur des anglais au Soudan), ou du Beja Congress, parti majoritaire à l’Est du Soudan, et dont les volontés d’autonomie, pour ne pas dire d’émancipation, ne se sont jamais éteintes.

Cette nouvelle capacité d’opposition politique, dans un pays où la liberté d’expression et de manifestation contre le pouvoir en place restait jusque là très contrôlée, est également renforcée par la colère que suscitent les conditions d’accès difficiles aux soins et autres besoins humanitaires de dizaines de milliers de déplacés, fuyant les combats du Nil Bleu et des Monts Nuba.

Dans cette « mosaïque complexe » qu’est le Soudan, un vent de changement se met à souffler,  et le statu-quo, savamment entretenu par le gouvernement de Khartoum mais aussi par les interstices diplomatiques de l’Union Africaine, de la Ligue Arabe et des Nations Unies, semble de moins en moins tenable dans les mois à venir.

Une diplomatie « globale » en manque de constance et de cohérence

La situation actuelle de conflit entre les deux Soudan, mais également celles qui persistent à l’intérieur même du (Nord) Soudan, est potentiellement porteuse de graves conséquences, aussi bien pour les populations de ces deux pays, que pour la stabilité politique et économique internationale. 

On peut citer pêle-mêle :

-           la reprise de tensions diplomatiques fortes au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies (opposant notamment la Russie et la Chine aux autres membres du CSNU) dans le cas d’une guerre ouverte entre les deux Etats soudanais ;

-          le renforcement de livraisons illicites d’armes et de soutien en matière de renseignement, pour les deux parties ;

-          des velléités  sécessionnistes de l’Est du Soudan ;

-          de nombreuses populations civiles déplacées et réfugiées, pour lesquelles l’accès humanitaire sera difficile voire instrumentalisé ;

-          une capacité de déstabilisation régionale, aussi bien au Nord (Tchad, Centrafrique, Libye) qu’au Sud (Ouganda, RDC, Kenya, Ethiopie) qu’à l’Est (Erythrée) ;

-          et enfin, une hausse des cours du pétrole, consécutive à des difficultés de production et d’acheminement dans ce contexte d’affrontement militaire.

La faillite actuelle des institutions internationales et des organisations régionales à parvenir à une solution humainement satisfaisante et politiquement acceptable au Darfour (10 ans de conflit à déplorer en 2013 !), rend peu optimiste sur l’issue de ce nouveau conflit aux enjeux territoriaux, énergétiques, mais aussi de gouvernance politique.

Le Sud possédant aujourd’hui la majorité des outils de production (les gisements pétrolifères) et le Nord, les infrastructures de distribution (les pipelines), il en résulte que seule une coopération entre ces deux Etats pourrait éviter une guerre qui ne ferait, à coup sûr,  que des perdants. Malheureusement, l’ancienneté et le passif sanglant des dynamiques qui sous-tendent leurs relations n’augurent pas des décisions fondées uniquement sur une vision réaliste des enjeux. Les aspirations d’une partie non négligeable de la population du (Nord) Soudan à changer de régime, la corruption endémique qui sévit au sein de la classe dirigeante sud soudanaise, et les intérêts égoïstes géostratégiques des différents pays qui s’intéressent aujourd’hui à la question soudanaise, rendent très peu probables une issue favorable à la situation actuelle, encore moins dans une vision de court terme.

Toutefois, avant de discuter « thérapeutique », c’est-à-dire des moyens diplomatiques et éventuellement coercitifs à mettre en œuvre, il faudrait d’abord s’entendre sur le « diagnostic » et contester que l’on assiste à des guerres « contenues » dans la région des Soudan. Il s’agit de guerres, non pas contenues, mais continues qui affectent en premier lieu la vie – et parfois la survie – des populations civiles mais aussi la stabilité régionale, au vu de la fragilité des Etats voisins, et l’économie internationale, avec ses répercussions sur une hausse possible du cours du pétrole. Si le concept de « responsabilité de protéger » avait une réalité, la région des Soudan serait bien celle aujourd’hui sur laquelle il faut s’appesantir. Que l’on ait une vision « réaliste » ou « libérale » du monde.

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Table ronde « Les sentiers de la guerre », La Sorbonne 13 mars 2012

Posté par Jérôme Larché le 14 février 2012

Table ronde  Les sentiers de la guerre 

Le mardi 13 mars de 18h à 20h, à la Sorbonne

Amphithéâtre Gestion, Paris 5ème  (entrée par la rue Cujas)

 

Autour de l’ouvrage

« La Brutalisation du monde, du retrait des Etats à la décivilisation» (Editions Liber)

de Josepha Laroche

Table ronde

Modérateur :

Dr Jérôme Larché (médecin, Directeur délégué de Grotius International)

 

Intervenants :

Pr Jean-Jacques Roche (Université Paris 2 et directeur de l’ISAD)

Pr Frédéric Ramel (IEP de Paris et directeur scientifique de l’IRSEM)

Pr Josepha Laroche (Université Paris 1 Sorbonne et directrice de Chaos International)

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La « brutalisation du monde » ou le combat perdu d’Alétheia contre Thanatos

Posté par Jérôme Larché le 3 février 2012

Edito de Grotius International – Février 2012

Chers lecteurs de Grotius, cet édito m’a donné des sueurs froides… En effet, je dois bien avouer que de multiples sujets m’ont interpellé ces dernières semaines, qu’il s’agisse du retrait accéléré des troupes françaises en Afghanistan, de la poursuite des massacres de civils en Syrie, des manifestations anti-Poutine en Russie, ou même des reculades du Ministère de l’Intérieur sur les étudiants étrangers. Finalement, tous ces sujets –et bien d’autres que je ne peux citer – ont un point commun qui est la confrontation avec un ennemi, réel ou construit, palpable ou fantasmé.

Comme l’a écrit Freud, « les choses s’effacent devant leurs représentations »[1], et la perception, que l’on peut comparer à un mécanisme de défense psychique permettant à chacun d’éviter culpabilité et remise en cause internes, prend le pas sur la réalité. La réalité devient donc fabriquée, et son ennemi le devient aussi[2]. Ces mécanismes, qui relèvent à la fois de choix individuels et qui ont (et qui sont aussi) une traduction collective et sociale, deviennent des enjeux transversaux pour la compréhension de la genèse – voire de la sociogenèse – des conflits. Des clés de compréhension s’offrent à nous pour appréhender la construction, voire même l’extension, d’un certain dérèglement du monde.

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« La brutalisation du monde » : d’abord une réflexion épistémologique

Dans son dernier ouvrage, paru aux Editions Liber, Josepha Laroche, Professeur de Science Politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directrice de Chaos International, nous interpelle avec ce titre évocateur : « La brutalisation du monde : Du retrait des Etats à la décivilisation ». En mobilisant les ressources et les concepts de la psychanalyse, de l’histoire et de la sociologie, elle introduit de la pensée complexe, transdisciplinaire, et pose un cadre original d’analyse des reconfigurations sociopolitiques à l’œuvre dans le monde contemporain.

Ce croisement des disciplines est non seulement original mais se révèle extrêmement pertinent. Cette démarche épistémologique peu orthodoxe risque, certes, de devenir objet de polémique mais la richesse et l’agencement des ressources mobilisées pour un dialogue cohérent entre psychanalyse et science politique, en font aussi un indéniable objet scientifique. Or l’objet de la science, et notamment de la science politique, n’est il pas d’amener des éléments supplémentaires de compréhension, poser de nouveaux cadres, sans pour autant gommer les doutes et les incertitudes ? Cette interrogation collective, d’ordre épistémologique au sein d’une discipline, n’est elle pas aussi une interrogation individuelle sur notre regard au monde ?

La première partie de l’ouvrage est consacrée au refoulement de la pulsion de mort, tandis que la deuxième l’est au retour du refoulé. Chacun des chapitres est construit sur un discours dialectique entre apports psychanalytiques, historiques et politistes. Le moi côtoie le surmoi, comme le micro jouxte le macro, l’individu la société et le national l’international. L’auteure souligne notamment qu’on ne peut opposer individu et société. Comme l’a en effet écrit Norbert Elias[3], «  la société n’est pas simplement un objet face aux individus ; elle est ce que chaque individu désigne lorsqu’il dit nous ».

Une « décivilisation » à l’oeuvre    

Si la fin de la guerre Froide a vu diminuer le nombre global de conflits, de nouveaux conflits interétatiques ont émergé, mettant en lumière l’action déterminante de nombreux groupes non étatiques infra et transnationaux. Dans un processus qui s’est accentué ces dernières années en raison de la crise financière globale qui concerne les Etats, et notamment les Etats occidentaux, on peut noter un nouveau basculement de l’Histoire sur la place et le rôle des Etats. L’idée d’Etat-nation sécularisée qui s’était imposée avec les traités de Westphalie en 1648 perd peu à peu son périmètre d’influence au profit de groupes communautaires, qui lui reconnaissent de moins en moins d’autorité et de légitimité. La diplomatie, monopole des Etats, et la judiciarisation des relations internationales (dont la création de la Cour Pénale Internationale est un exemple concret) avaient ainsi permis jusque là un refoulement de la pulsion de mort, c’est-à-dire la prééminence du principe de réalité sur le principe de plaisir.

Le monopole de l’Etat à exercer la violence physique légitime, comme l’a théorisé Max Weber, relevait de fait d’un processus civilisationnel, et sa mise à mal actuelle s’accompagne désormais d’une « brutalisation du monde ». En effet, pour Josepha Laroche, « avec la mondialisation des violences non étatiques et des communautarismes, les sociétés doivent faire face à la brutalisation du monde – affrontements identitaires, destruction du lien social et des solidarités, exclusion de la communauté nationale d’individus lentement réifiés avant d’être socialement néantisés ». 

Une psychanalyse politique des conflits

Mais ce livre n’est pas seulement politiste ; il est également politique. Pour que l’ « économie psychique » des individus appartenant à une société soit préservée, « l’instance étatique est en effet apparue comme le rempart à «la guerre de chacun contre chacun[4] », le seul espace politique de régulations et d’échanges capable d’engager les sociétés dans le processus civilisationnel si bien mis en relief par Elias ».

La dimension historique et l’évolution de nos sociétés face au contrôle exercé sur les processus de violences sont étudiées dans une perspective de « temps long », chère à Fernand Braudel et qui, tout en relativisant l’écume des micro-(r)évolutions, illustre avec acuité les vrais temps de rupture. On peut discuter pour savoir s’il s’agit plus d’une rupture ou d’un glissement, mais Josepha Laroche s’engage pour nommer ce qu’elle appelle un processus de décivilisation. Elle rend l’argumentation crédible, en s’appuyant à la fois sur les construits théoriques de Pierre Bourdieu ou René Girard, mais aussi sur des réalités tangibles comme l’action terroriste et la menace qu’elle fait peser sur les Etats de droit, en les poussant soit à sur-réagir (avec le danger de « compromettre leur identité institutionnelle ») soit sous-réagir (affaiblissant alors leur légitimité).

Dans une période socialement et économiquement tendue, où des pays européens commencent à être mis sous tutelle[5], et où la place centrale de l’Etat dans la société est ouvertement discutée pour cause de déficits budgétaires, ce livre désenchanté recèle de nombreuses pistes à méditer. Pour ne pas oublier d’où nous venons et pour réfléchir où nous allons… Intéressante clé de lecture pour comprendre les violences du monde d’aujourd’hui, cet ouvrage nous rappelle que l’homme est avant tout un animal social, dont la nature contradictoire lui fait souvent détester l’étranger proche. Celui dont les différences n’arrivent pas à gommer les ressemblances.

 

Ainsi, il semble bien que la dialectique entre principe de réalité et principe de plaisir fonctionne en permanence, et que les fragiles équilibres édifiés par les individus pour pacifier leurs sociétés n’aient rien d’acquis. La réalité dévoilée (alétheia) ne combat pas nécessairement à armes égales avec la pulsion de mort (thanatos). Pour s’éclairer dans le brouillard d’un monde présent qui se brutalise, le livre de Josepha Laroche est indiscutablement une lanterne bien utile…


[1] S. Freud, Totem et tabou

[2] P. Conesa, La fabrique de l’ennemi, Ed R. Laffont 2011

[3] N. Elias, La société des individus

[4] T. Hobbes, Leviathan

[5] rappelant les programmes d’ajustement structurels mis en œuvres par les institutions de Bretton Woods, et dont on connait le franc succès…

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Zones grises et idées noires : du conflit social aux conflits armés

Posté par Jérôme Larché le 19 janvier 2012

Depuis les émeutes de 2005, les banlieues, et aujourd’hui par effet capillaire, certaines périphéries de centres-villes, restent des enjeux complexes où la compréhension et la prise en charge du phénomène « banlieues » doivent être systémiques. Or, la vacuité des « plans banlieues » mis en place par les gouvernements successifs depuis des années, nie cette réalité. Faute d’envie et de moyens. Faute d’envie de coller à une réalité grise qui donne à beaucoup des idées noires.

« Clash à la kalash »

L’utilisation à Marseille de fusils mitrailleurs AK47 (kalachnikovs) par des truands de basse zone a récemment fait l’objet d’une grande attention médiatique, d’autant qu’elle s’est récemment soldée par la mort d’un policier[1] et d’un mineur de 17 ans[2]. Des armes de guerre, que l’on peut se procurer pour quelques centaines d’euros[3], brandies en pleine ville pour des braquages qui rapportent à peine plus… Ces armes provenant pour la plupart des stocks d’armement d’Europe de l’Est ont probablement déjà vécues quelques guerres africaines et balkaniques. Elles ont rencontré les trafics mafieux de drogue provenant d’Espagne et du Maghreb qui, elles, avaient le cash mais pas les armes. Cette complémentarité a opéré et se diffuse  aujourd’hui dans certaines banlieues de notre pays, nouvelles zones grises à la fois socio-économiques, mais aussi parfois de nature politique.

La réponse des autorités n’a pas tardé puisque, très médiatiquement, les policiers de la Brigade Anti-Criminalité (BAC) de Marseille se sont vus dotés de fusils à pompes. La réponse par la force à la force a un effet rassurant à très court terme, mais ses limites sont très vite atteintes et elle peut même, dans certaines circonstances, crée un effet d’attisement des conflits. La simplicité – on pourrait dire la linéarité -  de la réponse politique face à ces problèmes de violences reste toutefois inadaptée, car ne prenant pas en compte les nouveaux déterminants (sociologiques, économiques, culturels, et politiques) en jeu.

Militarisation du fait divers banal, banalisation du fait militaire

Ces zones périphériques de nos centres urbains semblent enrobées d’un brouillard, d’une brume, qui rend leur compréhension comme leur effraction, toujours plus difficiles. Les perceptions y valent toutes les réalités. Si dans ces segments urbains, la militarisation de la réponse policière parait nécessaire aux politiques, c’est qu’ils les perçoivent comme des « zones de conflits », ou tout au moins des zones grises. Zones grises et idées noires.

La récurrence des braquages à la kalachnikov et la réponse politico-policière prédominante illustrent deux phénomènes préoccupants. En effet, la militarisation du fait divers banal fait désormais écho à la banalisation du fait militaire. Considéré un braquage comme un acte de guerre est-il réellement approprié ? La réponse politico-policière actuelle questionne d’autant plus qu’elle combine une réduction des effectifs de fonctionnaires de police – rendant de facto la sécurité privée toujours plus forte – et une course à l’armement entre « flics » et «  voyous » dont on connait, par expérience, le cercle vicieux qui en résulte. Le rôle de la BAC dans les banlieues a d’ailleurs été récemment étudié par Didier Fassin[4] , qui conclut qu’elle se comporterait plus comme un élément d’alimentation des violences, et non de régulation ou d’extinction de celles-ci. Dans une perspective sociologique, on pourrait même avancer que ces méthodes policières permettent une justification réciproque des « flics » et des « voyous » dans leurs rôles et fonctions respectives.

Définition et compréhension des zones grises

Les processus de mondialisation / globalisation qui dominent notre époque se sont traduits par une progressive altération des frontières, symboliques et réelles, que les populations et le corps social avaient construites. Il n’existe plus de problématiques strictement locales ou strictement globales, mais un « glocal » qui a bousculé et brouillé les lignes, tout en soulignant l’interdépendance qui en résultait. Précarité, chômage, stigmatisation sociale (le phénomène des castes sociales, bien que non affiché, est aussi une réalité dans nos pays occidentaux), difficultés d’accès aux soins et au logement, trafics et criminalité transversale (prostitution, drogues, armes,…) voire transnationale. Que ce soit à la Courneuve, dans les ghettos new-yorkais, ou dans les bidonvilles de Calcutta, les ingrédients sont les mêmes, seuls varient leur proportion et leur déclinaison locale. Cela en fait-il nécessairement des zones grises ?

Trois critères permettent de définir l’espace hybride et volatile que constitue une « zone grise » : une concurrence d’autorité, une dérégulation sociale, et une privatisation du territoire. A l’instar de certains espaces du Tchad, du Soudan, de l’Afghanistan, ou de la Somalie, les banlieues françaises sont également devenues des zones grises. La « concurrence d’autorité » avec les forces de l’ordre, mais aussi avec les autorités civiles, est indéniable et la conquête des nouveaux territoires par les uns alterne avec la reconquête des territoires perdus par les autres. Ces zones grises françaises constituent avant tout des zones de « pathologies sociales »[5], où la construction des identités n’est plus en phase avec celle de la société, pouvant même aller jusqu’à un certain séparatisme entre gouvernement et gouvernés. Cette dérégulation sociale est complétée par une privatisation du territoire, où les bandes segmentent et partagent leurs aires d’influence et de contrôle. Mais cette privatisation du désordre fait aussi écho à une privatisation progressive de l’ordre, ce qui n’a rien de rassurant non plus. Zones grises et idées noires.

Banlieues : conflit social ou conflit armé ?

Dans ce monde liquide où l’on s’aperçoit qu’appliquer de la violence sur ces îlots de violence ne fait que les déplacer et les renforcer, il faut « changer de logiciel » et se départir des réponses politiques à courte-vue…et électoralistes. La militarisation, sémantique et opérationnelle, de la réponse politique actuelle semble d’emblée vouée à l’échec. Pensée comme une stratégie de pacification sur une zone de conflits, elle ne répond pas à la bonne question, et aucun conflit de société n’a jamais été réglé avec des armes. Traiter la question des trafics et des incivilités demande une réponse de police, et pas de milice. Traiter aussi la question sociale des banlieues, celle de la stigmatisation à l’embauche et d’un chômage surdéterminé, celle d’un accès aux soins rendu plus difficile par l’insécurité que constatent les services de secours d’urgence mais aussi par des barrières financières ou linguistiques. Les zones grises que sont devenues certaines banlieues françaises ne sont pas une fatalité ni une facilité. Elles sont le produit glocal de la mondialisation et des fractures engendrées. Elles sont un construit social et historique qu’il serait vain d’oublier. Elles sont un défi politique et sociétal car leur persistance en l’état pourrait déboucher sur des situations encore plus violentes. L’expérience des « Etats faillis » (les « failed states ») nous apprend que ces zones grises, présentes et disséminées en leur sein, ont été très souvent le prélude à des situations de conflits ouverts (la plupart du temps « intra-étatiques »). Prévenir ces évolutions aurait été probablement plus simple que de gérer après coup la résolution d’un conflit.

Quel rapport avec l’humanitaire, me direz-vous ? Tout, bien évidemment. Lorsqu’ils se rendent sur des terrains de conflits, les humanitaires évoluent la plupart du temps dans des zones grises, ou au sein d’Etats faillis, et leur insécurité y est d’ailleurs maximale. Ils sont confrontés, dans leur pratique, à la précarité socio-économique, aux difficultés d’accès aux soins et au logement, mais aussi aux trafics mafieux locaux, avec certaines ramifications transnationales, et aux forces de coercition (police, militaires), publiques comme privées. Les conflits identitaires ethnico-raciaux (très souvent instrumentalisés par différents protagonistes) comme les conflits de territoires (que ce soit pour l’accaparement d’une ressource naturelle ou pour sa situation stratégique) font également partie des éléments auxquels les humanitaires ont à faire face et qu’ils doivent décrypter.

 

Conclusion

La compréhension de ces zones grises, ici et là bas, de leurs acteurs et des dynamiques en cours, est une nécessité citoyenne. Elle concerne les humanitaires, émanations légitimes de la société civile, mais aussi chacun d’entre nous. Des solutions sont possibles, encore faut-il y mettre des moyens mais surtout une réelle volonté politique. Les associations et les municipalités s’investissent énormément dans la restauration des liens sociaux et dans la médiation des conflits locaux. Malgré cela, une perte de confiance s’est instaurée dans la parole et les actions des pouvoirs publics, faute de cohérence et d’occasions perdues. Les trafics y sont pourtant une réalité, tout comme la discrimination socioéconomique qui altère le quotidien de leurs habitants. Pas d’angélisme naïf, encore moins de diabolisation « karchérisée ». Juste la réalité, la réalité juste. La pire des hypothèses, qui dans certains endroits commence à pointer, serait que ces zones grises de nature essentiellement socioéconomique se transforment en zones grises politico-culturelles. La béance sociopolitique ouverte serait très difficile à refermer et pourrait constituer le terreau pour des conflits plus ouverts et plus violents. Dans le conflit social de nos banlieues se dessinent des conflits armés. Zones grises et idées noires.


[3] De 500 à 1500 euros

[4] D. Fassin « La force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers », Ed Seuil, Paris, 2011

[5] G. Minassian « Zones grises : quand les Etats perdent le contrôle », Ed Autrement, Paris, 2011

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Min Suryia (De Syrie)

Posté par Jérôme Larché le 6 décembre 2011

Dans un récent article du Monde du 24 novembre 2011, Rony Brauman et Bernard-Henri Lévy se sont violemment affrontés (joute verbale, s’entend) concernant le caractère  « juste » de la guerre menée en Libye par la coalition occidentale et qui a permis avec l’aide des insurgés libyens, la chute du régime du colonel Kadhafi. La virulence des postures réciproques donnait presqu’à penser qu’on ne parlait pas du même pays ! Cette controverse intellectuelle est peut-être l’occasion d’en tirer des leçons, pour s’interroger avec plus de finesse sur la situation en Syrie. 

Rony Brauman-Bernard-Henri Lévy, un dialogue de sourds  La population civile libyenne, qui a à la fois souffert des mesures de répression mises en place par le régime Kadhafi mais aussi des conséquences inévitables d’une guerre civile urbaine, n’apprécierait peut-être pas d’être ainsi mise au centre d’un débat essentiellement idéologique. Comme le Darfour hier, et peut-être demain la Syrie, la Libye n’était  plus, dans ce face-à-face Brauman-Levy,  l’objet principal d’intérêt mais le prétexte à la déclinaison idéologique de chacun. L’un cherche à convaincre par la raison, et l’autre à persuader par les sentiments et la morale.   Est-il si difficile d’affirmer son empathie et sa préoccupation pour les populations civiles, tout en réaffirmant la complexité d’une crise politico-militaire, tant dans ses origines historiques que dans la société dans laquelle elle se construit ? Il est probablement aussi déraisonnable de justifier une guerre pour des raisons humanitaires que de vouloir expliquer une crise politique par ses seules conséquences humanitaires… Primo Lévi a écrit dans Les Naufragés et les Rescapés qu’ « Il faut donc nous méfier de ceux qui cherchent à nous convaincre par d’autres voix que celle de la raison ». Je crois qu’il faut l’écouter, comme il faut d’abord écouter les peuples dont on se prétend le porte-parole, la plupart du temps de façon illégitime. 

La parole d’un écrivain syrien  Comme l’affirmait récemment dans Grotius International, l’écrivain syrien  Khaled Khalifa, la société syrienne est dans l’envie réelle dune (r)évolution démocratique, face à 40 ans d’un régime qui n’a pas ou peu bougé, si ce n’est le prénom de son président. Les réactions violentes des autorités, qui ont provoqué la mort de plusieurs milliers de manifestants, témoignent bien sûr de la peur face à ce changement cataclysmique qui s’annonce, et n’ont pas entamé la détermination d’une grande partie du peuple syrien à descendre dans la rue. S’agit-il réellement d’un « paradigme syrien », comme l’affirme Rony Brauman, « fait d’une mobilisation populaire large et d’un refus admirable de céder à la tentation des armes et à la spirale de la violence » ? Rien n’est moins sûr même si, pour l’instant, c’est actuellement le cas. 

Quelle(s) issue(s) possible(s) à la crise syrienne ? Sur un plan plus géopolitique, la Syrie est connectée à de nombreux pays (Irak, Liban, Turquie, Israël, Jordanie) dont certains sont encore très fragilisés, et pour lesquels une déstabilisation supplémentaire du Bilad-El-Cham[1]  aurait des conséquences difficiles à évaluer aujourd’hui. De plus, le coût financier et politique d’une nouvelle guerre menée par une coalition occidentale (voire élargie à un certain nombre de pays appartenant à la Ligue arabe) ne paraît plus possible à justifier vis-à-vis  d’une opinion publique, touchée de plein fouet par la crise de la dette et ses effets, notamment en Europe et aux Etats-Unis. Reste donc la voie diplomatique à emprunter, pour infléchir – par la négociation et des sanctions ciblées – la posture a priori inflexible du gouvernement syrien. Cette stratégie du « containment » risque d’être longue, sinueuse, de demander du temps, au risque que les rues de Homs ou de Damas soient encore le théâtre de combats asymétriques et sanglants entre manifestants et forces de l’ordre. Les sanctions économiques sévères à l’égard de la Syrie et les restrictions de circulation pour les dirigeants syriens, envisagées très récemment par la Ligue arabe, confirment que la technique de l’asphyxie progressive du régime a été choisie à celle de la démonstration de force internationale. 

De la légitimité de la parole Une lecture médiatique de la crise syrienne se résumant à un décompte des morts et à une indignation –humainement justifiée – sans décryptage pédagogique approfondi des déterminants réels de cette crise politique, dans l’une des régions les plus tendues au monde, ne permettra pas d’y poser un diagnostic correct, et encore moins d’en déduire les solutions appropriées.  J’aimerais, comme nous l’avons déjà fait dans Grotius International, que les syriens puissent s’exprimer pleinement dans nos médias. Qu’ils soient avocats, médecins, professeurs de sciences politiques, ou de simples citoyens, leur parole compte car ils connaissent leur pays, dans toute sa beauté et ses ellipses. Par sa légitimité, cette parole peut nous interpeller et peut-être nous indiquer comment agir. Mais cette parole, nous ne pouvons pas nous l’accaparer. Elle doit venir de Syrie. Min Suryia 



[1] Étymologiquement, le terme signifie « terre de la main gauche », http://fr.wikipedia.org/wiki/Bilad_el-Cham

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